16.7.18

La guerre des métaux rares – Guillaume Pitron


Nos vies sont souvent pleines de paradoxes parfois inconscients. Ainsi en est-il de la vague qui nous pousse à recourir massivement aux énergies dites propres (l’éolien, le solaire principalement) au motif que celles-ci préserveraient notre planète d’une pollution qui la menace de plus en plus. Pourtant, comme nous le montre Guillaume Pitron, toutes ces sources d’énergie ainsi d’ailleurs que tous nos équipements hi-tech et toute notre transition numérique nécessitent d’avoir recours à quantité de métaux rares. Des éléments premiers aux noms exotiques tels que le Scandium, l’Yttrium, le Lanthane, le Néodyme ou l’Europium pour n’en prendre que quelques-uns.
Or, premier paradoxe, extraire ces métaux qui se trouvent en concentration très faible dans l’écorce terrestre nécessite de concasser quantités de roches produisant autant de déchets à stocker ou à déplacer, de combiner bases ou acides chimiques nocifs tout en filtrant dans des cubages d’eau à faire frémir tout écologiste. Autant dire que la production d’un kilogramme de métal rare requiert des installations sophistiquées dotées de multiples stations d’épuration si l’on ne veut pas polluer plus in fine qu’en recourant aux énergies fossiles ou nucléaires !
Deuxième paradoxe, nous avons (le monde occidental) laissé délibérément filer l’extraction de ces métaux vers des pays peu regardant des normes écologiques au premier rang desquels la Chine. Du coup, l’essentiel de ces métaux est extrait dans des conditions moyenâgeuses induisant des catastrophes écologiques et sanitaires massives. Une façon pudique de se voiler la face en occident…
Comme, pour être véritablement efficaces, les métaux rares demandent à former des alliages sophistiqués, désassocier les éléments pour les récupérer demanderait une énergie et un coût qu’aucun industriel n’est prêt à assumer. Du coup, des montagnes de déchets précieux s’amoncellent alors que la consommation progresse au rythme d’un doublement tous les quinze ans, au plus. Autant dire que la situation est en passe de devenir explosive d’autant que la Chine contrôle la très grande majorité de la production de ces métaux rares. Des éléments essentiels à la fabrication de nos jouets électroniques, à l’armement  moderne, aux télécommunications, aux transports en tous genres et à la transformation numérique. Bref à nos vies modernes…
Nouveau paradoxe, non contente d’avoir mis la main sur la production des métaux rares, la Chine contrôle désormais aussi l’aval et est devenue le fabriquant exclusif de tous ces composants  indispensables aux économies modernes. Comme elle a également décidé de privilégier avant tout son économie domestique et qu’elle a imposé des transferts de technologie massifs, elle est en passe de contrôler des pans entiers de l’économie mondiale mettant toutes les puissances occidentales traditionnelles à son entière merci.
Mieux vaut en être conscient avant de s’engouffrer les yeux fermés vers un monde prétendument écologique et numérique dont les tenants et les aboutissants restent globalement inconnus du grand public comme de bien des industriels aussi comme le montre ce livre fascinant.
Du coup, quelques conclusions s’imposent pour Guillaume Pitron. Tout d’abord, réfléchir et définir vraiment la société que l’on souhaite dans un monde qui comptera bientôt dix milliards d’habitants concentrés dans les pays producteurs de ces métaux rares. Ensuite, prendre conscience que le rapport de force entre acheteurs et producteurs de produits miniers est en train de s’inverser irrémédiablement au profit de ces derniers. Puis, ne pas jeter le nucléaire avec l’eau du bain puisqu’il reste une alternative globalement plus verte que celles qu’on nous vend pour l’être totalement. Enfin, avoir le courage d’un plan minier agressif et assumé en France puisque nous avons la chance de posséder dans notre sous-sol de bien de ces terres rares ce qui permettrait d’assurer une meilleure indépendance à notre économie.
Tout un chacun désireux de réfléchir à notre monde, à ses enjeux et ses limites se devrait de lire cet ouvrage dûment documenté et argumenté. Cela fait en tous cas froid dans le dos…
Publié aux Editions Les Liens Qui Libèrent – 2018 – 295 pages