25.8.18

Un petit boulot – Iain Levinson


Difficile de s’en sortir quand, comme Jake Skowran, on a perdu son travail depuis que l’usine qui employait une bonne partie de la ville américaine où il réside a fermé pour être délocalisée au Mexique. Surtout si les factures s’accumulent et que les expédients consistant à gager ou vendre ses maigres biens les uns après les autres s’évanouissent. Alors trouver un boulot, n’importe lequel, devient d’autant plus vital que Jake a en parallèle accumulé une grosse dette en paris sportifs.
Du coup, lorsque le mafieux local faisant office de bookmaker et de pourvoyeur de drogues en tous genres lui propose de tuer sa femme, Jake n’hésitera guère avant d’accepter. Le voici donc devenu en un rien de temps tueur à gage doublé d’un job de nuit sous-payé dans une station-service de la zone locale. Une fois son premier contrat exécuté, Jake va rapidement à la fois se révéler comme un véritable homme de l’art ainsi que comme un gars décidé à ne plus se laisser marcher sur les pieds quitte à flinguer à tout-va pour son propre compte.
Derrière ce portait souvent assez drôle d’un faux méchant c’est celui de l’Amérique des laissés pour compte et des petits que dresse Iain Levinson. L’Amérique qui galère pour s’en sortir, celle qui vit ou plutôt survit dans des banlieues où il ne fait pas bon de s’aventurer. Celle des baraques laissées à l’abandon faute de pouvoir les rembourser, des petits truands qui vous pourrissent la vie, celle des bars de seconde classe où descendre les bières les yeux dans le vide devient un luxe que de moins en moins de fauchés sont capables de se payer. Un polar au vitriol mais qui porte un regard plein d’une certaine tendresse envers ceux qui sont frappés d’ostracisme.
Publié aux Editions Liana Levi – 2003 – 211 pages

22.8.18

Massif Central – Christian Oster



On sait que, roman après roman, Christian Oster applique avec un succès certain une même recette dont seuls les ingrédients et le dosage changent. Face à un problème ou une difficulté quelconques, son personnage masculin central, sorte d’avatar démultiplié à l’infini d’un seul et même personnage, fuit et prend la route. La destination, les étapes, les moyens de transport changent. Mais toujours surgit cette saisissante combinaison de hasards, d’indécision, de rencontres avec des personnages eux-mêmes flottants qui fait le sel et le charme d’un auteur qu’on aime particulièrement.

Cette fois-ci, Paul semble craindre sans raison apparente un certain Carl Denver. Un critique de cinéma auquel il a piqué sa femme Maud dont il vient cependant à son tour de se séparer après une année ou deux de vie commune. Entre le spleen de la rupture amoureuse, l’échec d’une carrière d’architecte brutalement arrêtée et une personnalité qui erre sans cesse entre indécision et procrastination, Paul va mal et est obsédé par Carl Denver dont il est persuadé qu’il veut lui nuire pour se venger.

Solution la plus simple selon Oster : fuir et mettre le plus de distance possible entre Paul et Carl. Cette fois, ce sera le Massif Central à l’occasion des obsèques d’un ami lui aussi architecte. Commence alors une série d’étapes ponctuées de hasards et de rencontres planant sans cesse entre le loufoque et l’inquiétant. Un périple en forme d’indécision constante, semé de messages sybillins où Paul pense progresser en reculant sans cesse tandis que la présence fantasmée ou réelle de Carl Denver semble se faire de plus en plus pressante.

Christian Oster signe un de ses grands romans dont il a le secret. C’est à la fois jubilatoire, disgressif, ponctué de réflexions qui en entraînent d’autres un peu à la manière de Jaenada. Et la fin nous réserve une énorme surprise pour couronner le tout !

Publié aux Editions de l’Olivier – 2018 – 155 pages

19.8.18

La fille des Louganis – Metin Arditi



C’est en 2007 que Metin Arditi publiait son quatrième roman avec « La fille des Louganis ». Un roman en forme de tragédie grecque moderne.
Poussés par la grande crise mondiale, les frères Louganis sont arrivés ensemble à l’aube des années trente sur l’île de Spetses au large du Pirée. Ils s’y sont installés comme pêcheurs et s’y sont mariés. Deux enfants naquirent : Aris, beau comme un dieu grec et la douce Pavlina. Tout semblait aller au mieux dans ces petites vies de petites gens jusqu’au jour où les deux frères disparurent en mer sautant sur un pain de dynamite. Ce n’était pas un accident mais un crime doublé d’un suicide, l’un des frères venant de comprendre que celle qu’il pensait être sa fille n’était pas de lui mais de son frère.
Lorsque des années plus tard, Pavlina se retrouvera enceinte de celui qu’elle pense être son cousin, la malédiction se poursuivra. Tout sera mis en œuvre pour que le bébé, fruit d’un inceste qui s’ignore, soit adopté par une riche famille et séparé de sa mère dès sa naissance.
Tout au long de son roman Metin Arditi explore quatre thèmes principaux. Celui de l’amour souvent impossible ou interdit pour tous ces personnages qui semblent en manque de tendresse et en recherche permanente d’un corps susceptible de leur donner ces vertiges indispensables à leur équilibre. Celui de l’homosexualité masculine qui poussera Aris au suicide par un mélange de dépit amoureux, de désespoir et de rage vengeresse. Celui de la séparation : séparation des épouses de leurs maris morts de façon violente, séparation de la mère et de son enfant transformant le reste de sa vie en une quête permanente, compulsive et destructrice d’une fille dont elle ne sait rien et dont elle cherche les traits et les traces partout en en tous lieux. Celui du secret enfin dont les pans multiples se dévoilent peu à peu à tous ces personnages qui, malgré eux, détiennent une part d’un lourd fardeau dont ils ne parviennent à se délivrer pour la plupart qu’avec leur mort.
Malgré sa construction solide, « La fille des Louganis » n’est pas le meilleur roman de l’auteur. La faute à des personnages souvent caricaturaux ou stéréotypés. La faute aussi à une histoire qui accumule les drames et dont la conclusion, qui offre enfin une fenêtre d’un autre possible, semble toutefois assez peu crédible.
Publié aux Editions Actes Sud – 2007 – 238 pages

6.8.18

Dans le ventre du loup – Héloïse Guay de Bellissen



Parfois, la réalité est plus terrible que celle imaginée. C’est un peu la découverte que va faire l’auteur lorsque son père lui remet un dossier sans la moindre explication. Un dossier au contenu effrayant, occulté par toute une famille qui s’est claquemurée dans une omerta collective pour survivre. Héloïse comme les autres mais, elle, sans le savoir… ou plutôt sans s’en souvenir, l’inconscient étant ici à l’œuvre.

Le fond du dossier est aussi simple que terrifiant : Sophie, la cousine d’Héloïse, fut assassinée à l’âge de neuf ans par celui que l’on surnomma alors « le monstre d’Annemasse ». Un fait-divers au cœur des années quatre-vingt alors qu’Héloïse avait elle-même cinq ans. Pourtant, jusqu’ici, Héloïse pensait n’avoir aucun souvenir de cette cousine disparue dans d’atroces circonstances.

Partant à la découverte de l’épais dossier judiciaire au tribunal d’Annecy que lui met avec bienveillance à disposition le Procureur, Héloïse entreprend de renouer avec sa propre histoire qui est aussi celle de sa famille. Une enquête à distance sur des faits jugés et condamnés qui va faire remonter des images et des réminiscences profondément enfouies tout en expliquant certains faits troublants.

Une enquête qui nous met sur les traces d’un jeune homme qui fut lui-même, enfant, victime d’un pédophile. Un acte dont les parents s’évertuèrent à nier la réalité préférant le silence au risque de faire la une de l’actualité et de déranger une petite vie apparemment tranquille. Du coup, c’était faire entrer le mal dans le ventre du loup et nourrir une névrose chez un être sensible et intelligent qui, peu à peu, allait pousser la victime à devenir à son tour un agresseur récidiviste et homicide.

A l’aide de courts chapitres tous introduits par une citation d’un de ces multiples contes censés être pour les enfants bien que tous plus terrifiants les uns que les autres, tous laissant le loup meurtrier préparer ses pièges pour consommer ses proies, Héloïse révèle peu à peu ses découvertes. Sur sa famille, sur elle-même, sur le parcours d’un agresseur qui faillit ne jamais être coincé malgré un portrait-robot frappant de réalité qui fut établi de lui. Il en résulte un livre bouleversant sur les côtés sombres de l’enfance, sur la maltraitance, sur les lourds secrets de famille qui pèsent comme des chapes de plomb, sur la difficulté des enquêtes policières et judiciaires aussi où ténacité et coups de chance doivent souvent s’unir pour parvenir au but.

Publié aux Editions Flammarion – 2018 – 332 pages