11.10.18

Saint Salopard – Barbara Israël


Une fois mort, on peut choisir de ne retenir que le meilleur ou au contraire régler ses comptes avec celui ou celle qui n’est plus. Dans ce brillant roman de Barbara Israël, ce sont tous les défunts d’une époque révolue qui sont convoqués dans un échange épistolaire imaginaire et posthume entre Maurice Sachs et certains des personnages, parmi les plus célèbres, qu’il aura côtoyés. C’est la France des années vingt à quarante qui soudainement reprend vie sous nos yeux.
Juif, abandonné dès sa naissance par son père, délaissé par une mère qui ne pensait qu’à dilapider sa fortune provenant d’un héritage, Maurice Sachs dut fondamentalement se construire tout seul au gré des pensionnats où il échoua. Intelligent, surdoué même, il fut l’auteur de plusieurs romans qui soit ne trouvèrent jamais leur public soit furent publiés à titre posthume sur la pressante insistance de sa mère revenue exprès de Londres pour mettre la main sur une source de revenus qui lui faisait cruellement défaut troquant les pleurs pour son enfant défunt qu’elle avait secs pour les à-valoir qu’elle arrachait férocement à un Gallimard qui n’en revenait pas.
C’est que la famille fut experte en détestation et outrages en tous genres. Passons le père qui prit très vite la tangente pour filer le parfait amour avec une autre et lui faire un enfant dont jamais la première famille n’eut connaissance. Passons encore la mère qui se souciait avant tout de sa garde-robe et de ses bijoux en collectionnant les chèques en bois et les fournisseurs impayés.
Attardons-nous sur le salaud intégral que fut Maurice Sachs. Juif, il se mua en séminariste pour embrasser la foi catholique. Une foi qu’il trahit bien vite en étant démasqué pour avoir eu des relations coupables avec un jeune garçon confié à ses bons soins. Cultivé et brillant, il ne tarda pas à entrer dans le cercle du Paris intellectuel et artiste. Cocteau, Max Jacob furent de ses amants. Gide son mentor, et Violette Leduc son amoureuse éconduite tandis qu’il se finançait avec les fonds que lui avait confiés Coco Chanel en vue de lui constituer une extraordinaire bibliothèque. Voleur, escroc, manipulateur il se fit collabo sous l’occupation allemande, dénonçant certains des Français avant que d’être à son tour emprisonné par ses amis et amants nazis et tué d’une balle dans la nuque après qu’il eut refusé de continuer à marcher dans un convoi de prisonniers. Encore que cette thèse fut contestée par Julien Green qui affirma l’avoir rencontré et reconnu par hasard, trois ans plus tard.
Alors, entre tout ce petit monde passé de vie à trépas, le fiel coule à pleine plume, chacun réglant ses comptes à sa façon. Avec intelligence, Barbara Israël donne la parole à une galerie de stars (Coco Chanel, Cocteau, Max Jacob, Gide entre autres) en retrouvant le style et la langue de ces gloires qu’elle n’hésite pas au passage à faire descendre des piédestaux où l’Histoire les a placés. C’est d’une férocité, d’une culture, d’une justesse absolument remarquables au point d’en faire un récit au charme nauséabond et mortel. Un délice dans son genre !
Publié aux Editions Flammarion – 2017 – 203 pages