26.11.18

Camarade Papa – Gauz



On se souvient du premier roman de Gauz « Debout-Payé » qui nous plongea au cœur des pensées et des déboires d’un Africain émigré à Paris tâchant de survivre en acceptant de devenir vigile chez Sephora. Un roman qui fit sensation et révéla une caractéristique essentielle de son auteur : une capacité à inventer des mots, déformant sens et syntaxe pour produire des images frappantes et poétiques. Un monde pour faire de l’ordinaire un extra-ordinaire.
Prenant son temps, Gauz nous revient quatre ans plus tard avec un deuxième roman qui continue de faire sienne, en partie, la formule magique de la réussite. Cette fois-ci, nous voici sur les traces de deux personnages que rien ne relie si ce n’est un continent, l’Afrique, à presque un siècle de distance.
Le premier est un enfant vivant à Amsterdam. Depuis que sa mère est partie pour vivre l’utopie d’une révolution socialiste dans l’un de ces Etats africains en proie perpétuelle à des révolutions plus ou moins sanglantes, c’est son père, militant communiste rouge foncé, ultra de la doctrine marxiste-léniniste qui est chargé de son éducation. Du coup, voici un gamin endoctriné par un père devenu « Camarade-Papa » et qui tente de décoder le monde en y appliquant une combinaison aussi drôle que pleine de contresens de schémas conceptuels inappropriés doublés de formules où les mots se déforment et s’assemblent pour donner une signification inattendue aux observations. On comprend du coup la difficulté pour cet enfant de s’intégrer, difficulté qui ne fera qu’augmenter lorsque son père, trop occupé par ses activités politiques, l’enverra auprès de membres de la famille dont le môme ne sait rien restés en Afrique, un monde dont il ne comprend pas plus le fonctionnement.
Alors que l’enfant est confié aux mains d’éducateurs chargés de le désendoctriner, un siècle plus tôt un jeune Français blanc décide de quitter sa Creuse natale pour se lancer dans l’aventure coloniale africaine. Malgré sa méconnaissance absolue de l’art militaire, des sciences économiques, des ruses politiques, il deviendra bientôt l’un de ces rescapés qui survécurent aux dysenteries, fièvres jaunes et autres serpents venimeux qui décimèrent les occidentaux aventureux à une époque où les antibiotiques n’étaient même pas un concept. Son secret sera d’apprendre la langue locale et ses tournures si peu communes aux us européens. Il deviendra alors l’incontournable maillon entre deux cultures dont l’une cherche impunément à abuser de la naïveté et de la générosité de l’autre.
Tandis que l’un doit se défaire d’une langue doctrinaire et de formules erronées qui l’empêchent d’être au monde, l’autre s’approprie une langue en vue de s’approprier un monde nouveau et d’y faire flotter le drapeau de la mère-patrie. Gauz confirme avec ce deuxième ouvrage son talent de conteur et sa capacité à nous plonger au cœur de l’extra-ordinaire.
Publié aux Editions Le Nouvel Attila – 2018 – 256 pages