15.2.19

John Rechy – Numbers


Paru en 1967 aux Etats-Unis, le roman de John Rechy ne fit l’objet d’une traduction et d’une édition françaises que très récemment. Une réparation méritée pour un écrivain au profil si particulier qui eut le courage – et le mérite – d’écrire sur la prostitution homosexuelle masculine à une époque où un tel sujet relevait d’un véritable anathème.
Difficile de ne pas voir en Johnny Rio, l’apollon vers qui tous les regards se tournent, un jeune homme qui suinte le sexe pour reprendre une expression de son créateur, un double de John Rechy. Tous deux firent du tapin un mode de vie comme un moyen de subsistance. Rechy poursuivit d’ailleurs cette activité jusqu’à l’âge de cinquante-cinq ans, malgré ses succès littéraires, malgré les cours de creative writing qu’il donnait à l’Université. Par peur que le succès littéraire ne cesse, par peur de ne plus plaire sans doute aussi. Ce n’est que lorsqu’il rencontra comme client un homme de vingt ans son cadet qui allait devenir son compagnon au long cours qu’il mit un terme à son activité de tapin.
Johnny Rio, une star de la prostitution masculine à Los Angeles, revient dans la ville des Anges après trois longues années d’absence et d’abstinence. Plus beau et plus musclé que jamais, il se complaît dans un narcissisme vain : celui d’attiser le désir de l’autre, homme (de préférence) ou femme (par exception), celui d’être choisi tout en se donnant le luxe de choisir à son tour selon des règles et des critères de plus en plus sophistiqués. Dès lors, quoi de plus naturel que de retourner sur les hauts lieux de ses exploits passés, du côté des collines de Hollywood où de rapides échanges sexuels se monnaient, sans amour et presque sans désir non plus.
Mais Johnny, qui a mis un peu d’argent de côté, ne veut plus tapiner. Il veut seulement accumuler les coups, multiplier les passes quotidiennes selon des règles qui lui appartiennent. D’abord, pas de réciprocité sexuelle. Il accepte d’être sucé, point barre. Pas de paiement non plus. Ensuite, ne jamais pratiquer avec le même homme, chaque acte devant se faire avec un nouveau partenaire vite séduit et aussitôt rejeté, une fois la braguette refermée. Enfin et surtout, il s’agit pour Johnny de remplir un quota quotidien, chaque jour plus élevé comme une spirale infernale le poussant à vérifier en permanence sa valeur de séduction au risque de sombrer dans des traques de plus en plus sordides et de plonger dans une dépression absolue, totale, incompréhensible vue de l’extérieur.
On l’aura compris, « Numbers » n’est pas un roman ordinaire mais plutôt la chronique triste de ce qu’une société hypocrite peut conduire à provoquer : un amour sans amour et à haut risque. Un livre coup de poing, étrange et perturbant.
Publié aux Editions Laurence Viallet – 2018 – 252 pages