30.3.19

La prophétie de John Lennon – Louis-Henri De La Rochefoucault


En exergue, une citation de John Lennon en 1966 que voici : « Le christianisme s’en ira. Il s’amenuisera et s’effacera. Je n’ai pas besoin de débattre de cela. J’ai raison et l’avenir le prouvera. Aujourd’hui, nous sommes plus populaires que Jésus. J’ignore ce qui disparaîtra en premier, le rock’n’roll ou le christianisme. »
Faisant de cette citation un brin loufoque un prétexte, Louis-Henri De La Rochefoucault prend sa plus belle plume pour réaliser un roman totalement baroque, déjanté et à mourir de rire. L’homme étant par ailleurs critique littéraire et critique musical spécialisé dans le rock, le folk et la pop, c’est à un objet inhabituel qu’il s’attelle sous forme de livre conçu comme une pochette de disque vinyle accompagné de ses line notes.
Monsieur De La Rochefoucault a des lettres (pas seulement de noblesse) et de la culture. C’est une véritable encyclopédie vivante du rock’n’roll qui connaît jusque sur le bout des doigts les albums et les groupes les plus obscurs ainsi que la genèse de leurs auteurs. Imaginant un personnage qui doit lui ressembler d’assez près (de noble et illustre lignée comme lui, critique musical comme lui, compositeur et instrumentiste peu reconnu jusqu’ici), il se lance dans un roman dont le prétexte en filigranes très fins est de sauver le christianisme par le rock’n’roll, histoire de faire mentir le bon John.
Autant d’occasions pour donner la parole à de vraies personnalités du petit monde parisien de la nuit et/ou de la musique électrique/électronique, recyclant pour cela des passages de véritables interviews qu’il eut l’occasion de réaliser pour la revue Technikart à laquelle il collabore. Et là, croyez-moi, il y a matière à déployer l’immense talent dont recèle notre ami. Usant d’une langue aussi magnifique qu’imagée et trempée dans le fiel, notre homme dégomme à tout va. A bas les artifices, hardi sur les manœuvres d’artistes plus préoccupés à amasser de petites fortunes qu’autre chose, l’hallali est sonné toutes trompes dehors sur toute cette cohorte de chanteurs sans voix dont on ne comprend d’ailleurs pas le succès si ce n’est du fait de l’abattage marketing dont ils font l’objet.
Et le Christ dans tout cela, me direz-vous ? Soyez sans crainte, il va même parler directement à son nouveau bon samaritain lui confiant une mission évangélique musicale et lui mettant sur son chemin une improbable bonne sœur au profil gothique. Déjanté et incroyablement drôle. Osons affirmer que nous tenons là un portraitiste digne descendant de Bossuet. Et à l’envoi, il touche !
Publié aux Editions Stock – 2019 – 284 pages


28.3.19

Manifesto – Léonor de Récondo


Un appel en pleine nuit n’est jamais bon signe. C’est précisément dans la nuit du 24 au 25 Mars 2015 que Léonor de Récondo reçut un appel de sa mère, Cécile, elle-même prévenue quelques instants plus tôt par l’hôpital de la Salpétrière que son mari, le père de Léonor, opéré le matin-même, était en train de mourir d’une septicémie foudroyante.

Les dernières heures passées au chevet d’une personne que l’on a profondément aimée sont d’une densité et d’une texture particulières. Elles se partagent inévitablement entre l’angoisse de la perte définitive de l’être aimé, l’attente contradictoire du dénouement fatal, l’épuisement venant, et la quête souvent vaine ou futile de renseignements auprès de médecins surchargés et eux-mêmes épuisés. C’est cette expérience, la première pour la romancière et violoniste, qui est retracée ici avec respect, pudeur et amour.
Des séries de trois chapitres très courts se succèdent au fur et à mesure que la nuit d’agonie se déroule. Le premier donne la parole au mourant dans un dialogue imaginaire entre lui et un de ses proches où ils se confient réciproquement certains des souvenirs clé dont est fait une existence. Autant de séquences qui disent l’amour fusionnel, l’amour filial, l’horreur des guerres qui ont chassé ces familles espagnoles de leur pays, la perte successive de trois enfants en trois ans dans d’atroces circonstances et la réalisation par ses propres mains de sculpteur et fondeur de métaux du premier violon pour sa fille Léonor.
Le deuxième décrit ce qui se passe dans ou autour de la chambre du mourant, dans un hôpital dont le rythme de la nuit diffère profondément de celui du jour. Des séquences faites de petits gestes attentionnés, de moments de doute ou d’abattement, d’angoisse aussi.
Dans chaque chapitre terminal de ces tierces successives, c’est Léonor qui raconte un des souvenirs qu’elle a de la vie avec son père ou auprès de ses trois demi-frères ou sœurs désormais eux-aussi décédés, tous jeunes.
Quiconque aura vécu un tel épisode où l’on accompagne un proche dans ses derniers instants ne pourra que se reconnaître dans cette succession d’images, d’émotions, d’attente épuisante aussi qui constitue le parcours de l’accompagnant.
Publié aux Editions Sabine Wespieser – 2019 – 179 pages

27.3.19

Le roi chocolat – Thierry Montoriol



Comme nous le confie l’auteur dans une courte postface instructive, c’est en étudiant les quelques carnets non détruits par la famille de son aïeul Pierre Victor Lardet que l’idée de faire un livre sur ce personnage hors du commun lui vint.
Journaliste spécialisé dans la rubrique critique musicale, Pierre Victor Lardet est envoyé au début du vingtième siècle en Amérique du Sud pour y réaliser un reportage au long cours sur les opéras de Manaus et Buenos Aires dont le faste des ors et le lustre des distributions causaient une concurrence jalouse aux grandes maisons européennes.
En cette lointaine époque, voyager dans de telles contrées nécessitait de prendre le paquebot où l’on faisait des rencontres. Pour notre homme, ce sera celle d’une belle marquise aussi séduisante que mystérieuse. Une femme qui l’accompagnera pour tout le reste de son existence. Une maîtresse discrète mais passionnée toujours prête à lui sauver la face.
Une fois sur le continent sud-américain, le journaliste entreprend un périple aventureux qui lui fera croiser les peuplades indigènes ainsi que les révolutions multiples qui mettent aux prises et à distance des Etats-Unis déjà hégémoniques et les diverses dictatures dont les intérêts divergent au gré des intérêts de ceux qui s’en sont emparés.
Retenu dans un village indien, il y sera marié de force à trois des filles du chef et survivra à la nourriture vernaculaire immangeable grâce à la découverte du cacao mélangé à de la farine d’orge, de banane et du sucre.
Revenu en Europe après bien des aventures amoureuses et guerrières, lassé de travailler pour un journal ayant viré à l’extrême droite, il se lancera dans l’aventure entrepreneuriale en créant l’entreprise, la marque et le produit Banania. Une aventure extraordinaire à tous points de vue qui, grâce au génie visionnaire de cet homme et à son sens de la publicité, fera bientôt de la célèbre boîte aux relents fortement coloniaux la marque la plus célèbre de France.
Réussir vaut autant d’amitiés intéressées que de jalousies occultes, sans parler des aigrefins attirés par l’appât du gain. Après avoir côtoyé les sommets de la célébrité et de la reconnaissance nationale qui lui vaudront le surnom du « Roi chocolat », Pierre Victor Lardet commettra une série d’imprudences et prendra une suite de mauvaises décisions qui le précipiteront, lui et sa famille, dans la pauvreté et l’anonymat. Or, le seul pardon possible pour la ruine dans une grande famille c’est l’oubli, celui dans lequel cet aventurier de génie, un peu fantasque, très séducteur, à l’entregent certain fut plongé près d’un siècle durant avant que de ressortir en pleine lumière dans ce formidable roman aussi bien troussé que magnifiquement écrit. Une réussite !
Publié aux Editions Gaïa – 2018 – 427 pages

25.3.19

La guerre des pauvres – Eric Vuillard



Dans ce petit recueil magnifiquement écrit et savamment documenté, Eric Vuillard nous rappelle que la guerre des pauvres remonte quasiment aux sources de la société sous sa forme moderne.
Au Moyen-Âge, elle éclata de manière régulière toujours de la même façon et pour les mêmes raisons. Concentration de pouvoirs par les nobles et l’Eglise, abus de taxes et d’impôts, exclusion de la majorité de la population d’une forme minimale de confort et de bienséance. Ajoutez à cela une Eglise au faste outrageux en complet décalage avec ce que prônait le Christ et toutes les conditions sont réunies pour qu’un prédicateur au verbe haut et n’ayant pas peur de dénoncer sans vergogne les abus mette le feu aux poudres.
Ce fut ce mécanisme qui fit son œuvre à de nombreuses reprises en Allemagne, en Hongrie, en Angleterre entre autres. A chaque fois, les pauvres, paysans sans terre, soldats déclassés, petits commerçants se réunirent en foules immenses pour piller les villes et décapiter quelques-uns des détenteurs de l’ordre et du pouvoir afin de crier leur colère et de réclamer de nouveaux droits. A chaque fois, après des hésitations et des manœuvres dilatoires, les révoltes furent matées dans le sang et se soldèrent par des exécutions de masse. Car, jamais, les pauvres incapables de s’organiser et de se constituer en force progressiste ne l’emportent. Tout au plus finissent-ils par obtenir quelques concessions au fil d’un temps long, jusqu’à la prochaine explosion.
Une lecture passionnante à mettre en perspective du mouvement des Gilets Jaunes aux revendications floues ou irréalistes, désorganisées, désunies, recourant abusivement à une violence qui finira par avoir raison d’eux. Remplacer l’Eglise et les Nobles par les entreprises et le capitalisme et vous obtenez un tableau comparable. Car, nous rappelait Marx, l’Histoire jamais ne se répète, elle balbutie.
Publié aux Editions Actes Sud – 2019 – 68 pages

23.3.19

Mémoires au soleil – Azouz Begag



Dans la bouche de toute une génération d’immigrés nord-africains venus des colonies pour bâtir une France moderne en des temps qui ignoraient le chômage, bien des termes, revus au diapason des dialectes arabisants, prirent une sonorité étonnante. C’est ainsi que la mère de celui qui deviendrait plus tard un romancier prolifique doublé d’un futur Ministre à l’Intégration disait à qui voulait l’entendre que son mari était frappé de la maladie d’Ali Zaïmeur, charmante formule pour décrire un drame.
Drame d’une mémoire qui fout le camp et pousse le vieil homme, qui aura passé toute sa vie à travailler comme un forcené pour que ses enfants s’en sortent et ne connaissent pas la même misérable existence que la sienne, à régulièrement s’aventurer dans les rues de Lyon, où il habite, pour prendre le bateau en direction de l’Algérie.
A chaque escapade, Azouz Begag  est appelé à la rescousse pour mener une quête qui n’en finit pas. Quête d’un père parti souvent se réfugier au Café du Soleil à côté de ceux qui furent ses voisins de garni. Des vieillards désormais usés qui tuent le temps dans d’interminables parties de dominos où s’expriment maladroitement les pauvres vestiges d’une virilité plus que vacillante. Quête aussi d’une identité qui pousse régulièrement le seul fils à s’en être sorti à comprendre l’histoire de son propre père dont il ne sait pas grand-chose.
Doté pour tout papier d’identité d’une simple et unique carte d’électeur de seconde zone établie des décennies auparavant, nul ne semble véritablement savoir qui fut et est le père dont la mémoire part en vrille. Personne ne semble le connaître dans le village dont il se dit natif, nulle trace ne semble subsister d’une existence devenue anonyme. Au-delà de la recherche affolée d’un homme qui se perd dans les rues avoisinantes de son domicile, c’est la recherche de ses propres racines, de ses origines, de la véracité de son nom même que mène farouchement Azouz Begag afin de garantir, d’une certaine manière, son droit à exister dans un pays dont il est un ressortissant officiel en mal d’intégration. Un beau roman qui dit la souffrance muette de générations qui auront tout sacrifié pour un pays qui ne leur a pas toujours bien rendu.
Publié aux Editions du Seuil – 2018 – 185 pages

20.3.19

Ma dévotion – Julia Kerninon



Voilà des années qu’ils ne s’étaient plus croisés. Jusqu’à cette rencontre improviste dans une rue de Londres. Elle l’a reconnu tout de suite, malgré la vieillesse, malgré le temps qui a passé. Elle l’a abordé, à sa grande surprise, pour échanger quelques paroles bien fades au regard de ce qu’ils avaient vécu. Alors, aussitôt repartie, elle s’est promis de tout raconter, comme jamais elle n’a osé le faire, dans ce journal intime qui sert de trame à ce nouveau très beau roman de Julia Kerninon.
Ils se sont connus jeunes, encore adolescents, alors que leurs pères respectifs occupaient le poste d’Ambassadeur et de Premier Secrétaire à l’Ambassade de Londres à Rome. Parce que leurs familles, pour des raisons à la fois identiques et spécifiques, étaient incapables de leur offrir l’amour et la sécurité nécessaires, ils sont devenus inséparables. Elle, Helen, la jeune fille persécutée de manière odieuse par ses frères aussi stupides qu’abjects. Lui, Franck, fils unique encore incapable de savoir où orienter sa vie. Et puis, naturellement, ils se sont aimés. Sans doute sincèrement au départ, en tous cas pour elle, Helen.
A partir de là, Helen sacrifia toute sa vie par dévotion envers Franck. C’est elle qui fut sa première amante, elle qui l’hébergea à Amsterdam où elle partit faire ses études. C’est elle, encore, qui, en grande partie, fit de Franck la gloire de peintre qu’il allait devenir, une fois sa vocation trouvée.
Pour lui, elle supporta tout. D’être sa maîtresse, d’être son hôte quand, très vite, il multiplia les conquêtes sous son propre toit sans jamais se cacher. D’être délaissée pour une autre femme, galeriste réputée, qui contribua grandement à faire connaître son amant. D’être là, à nouveau, le moment venu pour lui ouvrir les bras, le consoler, lui servir de femme lorsqu’il le voulait bien, de comptable, de conseillère  et bien d’autres choses encore comme nous le découvrirons.
Là où la plupart des autres femmes auraient pris leurs jambes à leurs cous, elle resta fidèle à ce premier amour, toujours, et sacrifia sa vie, son travail, son mariage même plus tard pour lui. Lui, Franz, un égocentrique jouisseur ne vivant que pour son art, tellement centré sur sa fougue créatrice qu’il en est incapable de simplement percevoir le mal qu’il peut faire aux autres. A des êtres comme lui, il faut des phares solidement ancrés sur leur roc. C’est ce que fut, presque toute sa vie durant, celle qui dévoua son existence à ce demi-dieu à la fois odieux et admirable.
Avec ce nouveau roman, Julia Kerninon qui s’était fait remarquer par son premier roman « Buvard » confirme tout son talent et tout le bien qu’on pense d’elle.
Publié aux Editions La Brune au Rouergue – 2018 – 299 pages

17.3.19

Au-delà des frontières – Andreï Makine



La dernière parution de Makine a de quoi surprendre ; au point qu’une fois le livre achevé, on risque de continuer de se poser la question d’en comprendre l’objet et le propos…
Un critique reçoit un jour par le courrier le tapuscrit intitulé « Le Grand Déplacement » que nous découvrons en même temps que son récipiendaire. Il y est question, dans une langue à la fois classique et brûlante, d’une France imaginaire d’ici à vingt ans. Une nation qui déplace par dizaines de millions tout ce qu’elle aura compté de réfugiés, d’immigrés et de personnages présentant un quelconque danger pour un pays qui veut retrouver la gloire et le lustre de son passé. Un pays qui aura donc sombré dans le nationalisme outrancier, bercé de l’illusion qu’une épuration passant par l’envoi massif de population en une Syrie dévastée et à repeupler pourra lui redonner l’allant perdu. L’auteur, comme nous ne tarderons pas à l’apprendre, en est un jeune homme d’origine noble, fondateur d’un micromouvement ultra-nationaliste et conservateur qui s’est suicidé dans la fleur de l’âge. C’est sa mère qui a adressé le roman dans l’espoir de le faire éditer. Une mère que va rencontrer le critique alors qu’elle-même est sur le point de se suicider à son tour faute de trouver un sens et une place dans une société où elle ne se reconnaît plus.
Entre cette femme en mal d’affection et cet homme célibataire et qui squatte l’improbable appartement d’une sorte d’ermite parti tenter une autre forme d’existence dans le Caucase, une relation de confiance basée sur l’écoute et l’absence de jugement va peu à peu se nouer. Une relation qui les poussera à leur tour à quitter la France et Paris pour rejoindre ceux que l’on appelle les « diggers », une sorte de secte décidée à se couper de la vie moderne et à subvenir à leurs propres besoins en autosuffisance.
Pourquoi pas à une époque où un monde durable, capable de faire face à une explosion démographique et à un réchauffement climatique dramatiquement préoccupant, reste à inventer pour tenter de sauver l’humanité.
Pour autant, de quoi est-il vraiment question dans ce roman qui part dans de multiples directions ? De la puissance de la littérature pour encourager l’imaginaire ou le poétique ? Des fausses solutions fondées sur des idéologies qui ne mènent nulle-part ailleurs qu’au chaos ? Ou bien, au fond, ne serait-ce que le rêve d’autre chose et le recentrage sur une société proche de la nature qui ébaucherait un possible futur ? Sans doute un peu de tout cela. Mais que voici un livre étrange auquel on peut se sentir profondément étranger d’ailleurs !
Publié aux Editions Grasset – 2019 – 268 pages

12.3.19

La disparition de Stéphanie Mailer – Joël Dicker



Depuis « La vérité sur l’affaire Harry Québert », formidable premier roman qui s’est vendu à plus de trois millions d’exemplaires (excusez du peu !), chaque nouvelle parution de celui qui est désormais considéré comme un maître du polar chic est attendue avec impatience par une horde de fans.

Disons-le tout de suite : le troisième opus de l’auteur à succès ne marquera pas fortement les esprits.

Pourtant, tout avait bien commencé avec cet art consommé d’un maître du genre pour créer un climat et une situation à la fois dramatique et intrigante propre à saisir le lecteur par le col et le plonger de force dans ce que l’on pense être un « page turner ». Et cela fonctionne à vrai dire plutôt bien dans le premier tiers du roman. Pensez donc : une jeune journaliste, Stephanie Mailer, semble avoir la preuve que le quadruple meurtre du Maire de la ville d’Orphean, dans les Hamptons, de son épouse et son fils ainsi qu’une joggeuse qui passait malencontreusement par-là au mauvais moment, affaire élucidée vingt ans plus tôt par un duo de jeunes flics pleins de talent, et bien, dis-je, que celui qui fut considéré comme le meurtrier coupable était en réalité innocent ! De quoi sonner sérieusement celui devenu Capitaine à la Criminelle d’Etat à la veille de son départ anticipé à la retraite ainsi que son acolyte qui a, depuis sans que l’on en sache la raison, demandé sa mutation aux affaires administratives où il végète. Dès lors, voici un duo qui se reconstitue bien décidé à rouvrir l’enquête et y apporter une réponse sans la moindre ambiguïté. Il y va de leur honneur !

Mais, à force de vouloir multiplier les coups de théâtre, les fausses pistes, les petites confessions et les coïncidences, Joël Dicker (qui semble décidé à commettre un gros pavé) finit par accoucher d’une histoire manquant de vraisemblance et dont le lecteur se désintéresse peu à peu. Quand, en outre, la fin se présente sous la forme de happy end doucereuse à l’américaine, on se dit que l’auteur, lui aussi, a dû finir par se débarrasser d’une histoire devenue quelque peu encombrante et maladroite.

Sans être mauvais, le roman est simplement juste moyen, trop long et très loin de la surprenante et inégalée, depuis, qualité du premier livre de l’auteur. Dommage !

Publié aux Editions Fallois – 2018 – 635 pages

1.3.19

Le discours – Fabrice Caro



Quittant pour la seconde fois l’univers de la BD (il est l’auteur du très remarqué Zaï zaï zaï zaï), Fabrice Caro troque ses crayons dessinateurs pour se saisir de la plume caustique et désopilante d’un romancier contemplant sans concession ses contemporains.
C’est dans une sorte de théâtre de poche qu’il nous transporte. Celui d’un repas familial réunissant Adrien, un quadragénaire dépressif et prompt à tout transformer en drame, ses parents, sa sœur et son futur beau-frère Ludo, l’homme qui entretient les conversations. Car c’est de l’impossibilité de se parler vraiment qu’il est en réalité question tout au long de ce roman foutrement cocasse.
Interrompant ses dissertations à haute voix sur des thèmes qui vont de la fonte du permafrost à l’importance du chauffage par le sol, Ludo demande tout à trac à Adrien de bien vouloir concevoir un petit discours à l’occasion de la cérémonie de son mariage avec sa sœur qui doit avoir lieu prochainement. Une demande qui ne peut plus mal tomber alors qu’Adrien vient d’envoyer, à 17H24 précisément, un SMS d’une vacuité désespérante à Sonia, celle qui est sa compagne depuis un an mais qui, depuis trente-huit jours désormais, a décrété avoir besoin d’une pause et a cessé de donner le moindre signe de vie.
Entre l’angoisse de rédiger un discours sur des personnes qu’au fond il ne connaît pas vraiment et dont il se soucie médiocrement, sa sœur n’ayant pour sa part jamais cherché à savoir qui était vraiment son frère au point de lui offrir année après année pour son anniversaire des encyclopédies sur les thèmes les plus farfelus au simple motif qu’il aime lire, et l’angoisse d’une réponse de sa belle qui ne vient pas, Adrien a toutes les raisons de nourrir avec force son manque total de confiance en soi.
Plus le repas avance, plus chacun des convives semble s’enfoncer dans une sorte de soliloque où les autres écoutent aussi vaguement que poliment. Les thèmes s’enchaînent sans autre logique que de ne jamais laisser place au vide et au silence qui révèleraient alors la profonde incommunicabilité d’une famille où personne ne sait vraiment grand-chose sur les autres et où chacun se contente de réponses toutes faites évitant d’avoir ainsi à se confronter à une réalité autrement douloureuse.
Plus le temps passe, plus Adrien alimente sa propension à imaginer le pire, plus ses stratégies pour tenter d’arracher une réponse à Sonia se révèlent piteuses. A chaque nouvelle tentative, le discours attendu et demandé par Ludo auquel ne cesse de réfléchir avec angoisse Adrien se transforme en une sorte de confession de la totale absence d’estime de soi de son auteur. Autant de scène propre à transformer une cérémonie festive en un désastre avéré, à l’image de la vie d’Adrien, l’éternel célibataire auquel on prête d’innombrables conquêtes à tort.
Fabrice Caro excelle à nous glisser au plus profond de l’esprit torturé de son personnage, à nous faire partager les angoisses pour lesquelles il dispose d’un talent infini afin de les alimenter tandis que chaque convive d’un repas sans relief tente de sauver les apparences d’un souci de l’autre qui n’est que façade et vacuité.
Publié aux Editions Gallimard – 2018 – 199 pages