28.8.19

Ecotopia – Ernest Callenbach



Paru initialement en 1975, Ecotopia a fait récemment l’objet d’une nouvelle traduction pour être republié en Français à la rentrée d’automne 2018. Près de cinquante plus tard, cette première utopie écologiste qui fut vendue à plus d’un million d’exemplaires et eut une influence considérable sur la pensée écologiste nord-américaine reste d’une brûlante actualité.

Ernest Callenbach situe son récit à la toute fin du siècle précédent. La Californie du Nord, l’Oregon et l’Etat de Washington ont alors décidé depuis quelques décennies de faire sécession des Etats-Unis d’Amérique pour fonder un nouvel Etat indépendant, Ecotopia. Convaincues que la politique états-unienne de croissance à tout prix ne pouvait mener qu’à une catastrophe écologique d’ores et déjà annoncée par la multiplication de désastres, ces populations ont pris les armes et obtenu de fonder une nouvelle nation qui met au centre de ses valeurs la protection de la nature et un mode de vie « à l’équilibre », c’est-à-dire une approche et des comportements où tout ce qui est utilisé est d’une manière ou d’une autre recyclé. Sont bannis les moteurs thermiques et de façon générale toutes les activités polluantes. En parallèle, la population a mis au point un système social et politique éminemment démocratique et  très libre dans un esprit très inspiré des grands mouvements hippies des années soixante.

Alors que les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Ecotopia sont rompues, un journaliste de New-York obtient l’autorisation exceptionnelle de se rendre sur place pour un séjour de plusieurs semaines afin de rendre compte de ce qui se passe là-bas.

Arrivé fort de ses convictions et des a priori que la pensée officielle de son gouvernement a ancrées en lui, l’homme s’attend à trouver un pays arriéré, pauvre, au bord de l’implosion. Au fur et à mesure que se font ses découvertes des divers aspects de la société d’Ecotopia, le jugement du journaliste ne cesse d’évoluer trouvant de plus en plus d’intérêt et d’avantages à une approche qui se situe pourtant aux antipodes du mode de vie qui lui est habituel. Mais, c’est la rencontre avec une femme et une histoire d’amour intense qui finiront par faire vaciller ses convictions et par lui ouvrir les yeux sur beaucoup d’aspects des choses restées cachées de l’autre côté de la frontière.

Malgré son aspect un peu naïf parfois émanant d’une atmosphère encore enfumée par les émanations du mouvement « Peace and Love », le roman d’Ernest Callenbach explore de façon réaliste et approfondie de nombreuses approches alternatives aux modes de vie et de fonctionnement auxquels nous sommes habitués. Au moment où le changement climatique, malgré les dénégations de certains, est avéré et où le populisme dans des pays de plus en plus nombreux ne va faire qu’accélérer des catastrophes sociales et écologiques annoncées, la lecture d’Ecotopia prend un sens réactualisé et nous invite à nous poser la question de ce que nous pouvons changer, individuellement ou collectivement, pour prendre une nouvelle direction avant que notre planète ne nous l’impose avec une brutalité contre laquelle nous ne pourrons rien. L’optimisme de l’auteur est un baume sur le cœur de celles et ceux qui sont convaincus que le monde tel que nous le connaissons n’en a plus pour très longtemps…

Publié aux Editions rue de l’Echiquier fiction – 2018 – 300 pages

26.8.19

Toutes les choses de notre vie – Sok-Yong Hwang



Toutes les choses de notre vie dont nous ne voulons plus parce qu’elles sont usées, cassées, démodées ou périmées finissent par se retrouver dans l’immense décharge à ciel ouvert trônant sur le fleuve Han qui divise la capitale tentaculaire de Seoul en deux parties. C’est sur un ancien terrain fertile et agricole que sont amassées des montagnes d’ordure qu’une armée de pauvres et d’exclus en tous genres trient sans relâche. Une armée très organisée, divisée en clans placés sous l’autorité de chefs qui se partagent les zones de triage et l’essentiel des bénéfices. Ne reste pour les sbires et les esclaves de ces petits chefs un brin mafieux que des salaires de misère permettant tout juste de subvenir aux besoins fondamentaux.
C’est parmi ces gueux des temps modernes que celui qu’on appelle Gros Yeux et sa mère ont échoué depuis que l’homme de la famille a été envoyé en camp de redressement sous le régime militaire dictatorial de la Corée du Sud d’alors. Comme leurs pairs, ils habitent dans une cahute de fortune construite de bric et de broc sur place.
Pendant que sa mère trouve rapidement à s’employer avant de devenir la maîtresse de son protecteur, Gros Yeux, encore trop jeune pour véritablement travailler comme un forçat, se familiarise avec les règles de ce nouvel univers et fait la connaissance d’autres adolescents échoués là-bas, comme lui. Entre eux, ils forment une petite famille avec ses propres codes. Mais c’est surtout avec le Pelé, le fils du chef pour lequel sa mère travaille, qu’il va se lier d’amitié. Une amitié qui les confrontera à la misère de la décharge, à sa brutalité, au monde chamanique et à celui des esprits de celles et ceux qui ont vécu sur des terrains fertiles avant d’en être brutalement chassés. Ces deux jeunes vaquent ainsi  entre différents mondes : celui du passage de l’adolescence à l’âge adulte, celui d’un mode de vie sociale intégrée à l’exclusion parmi les pestiférés, celui d’une modernité dont on ne voit que les rebus et celui d’une culture encore un peu animiste.
Pour réaliser ce magnifique roman, Sok-Yong Hwang s’est inspiré de la véritable histoire de la décharge à ciel ouvert de Seoul, fermée après un incendie majeur et transformée depuis en une base de loisirs fréquentée chaque week-end par les habitants de la capitale coréenne.
Publié aux Editions Philippe Picquier – 2016 – 188 pages

20.8.19

Augmentus – Chroniques du Cyclocentaure à l’ére de l’Intelligence Artificielle – Olivier Silberzahn



Derrière ce titre quelque peu étrange se cache en réalité un passionnant roman que vous pourrez difficilement lâcher avant que d’en avoir achevé la lecture. Un roman qui pose de nombreuses questions fort pertinentes pendant qu’il est d’ailleurs encore temps de se les poser !

Trois jeunes ingénieurs fraîchement diplômés d’une grande école du plateau de Saclay décident de tenter la grande aventure entrepreneuriale. Leur idée de base : répliquer, ni plus ni moins, le fonctionnement du cerveau humain en s’appuyant pour cela sur les plus récentes puces permettant les traitements massivement parallèles et sur les travaux les plus avancés en Intelligence Artificielle. Un trio qui ne doute de rien mené par une jeune femme aussi séduisante qu’ambitieuse, un geek roi de la programmation en systèmes complexes et un spécialiste du hardware et de l’architecture par ailleurs cycliste chevronné.

L’une des grandes originalités et réussites du roman est d’ailleurs d’insérer de fréquentes et longues séquences consacrées à la pratique cycliste en milieu compétitif, pas tant pour les détails techniques que seuls les férus du genre sauront apprécier mais plus pour souligner comment le travail sur soi en vue de la recherche optimale de ses performances fait prendre conscience que, pour atteindre l’excellence, tout compte dont la compréhension intime des fonctionnements de sa psychée et de son organisme.

Une compréhension qui permettra alors, par translation sur les travaux de la start-up, de franchir des caps successifs majeurs grâce à l’association de différentes techniques les plus en pointe. Car c’est en quittant l’approche traditionnelle de l’IA (le deep learning qui permet, par absorption de quantité de données et programmation par approches successives de mettre au point des processus et méthodes de réponses plus rapides, plus efficaces et moins chères que celles permises par les experts humains) et en s’intéressant au rôle de la biochimie dans le cerveau que la start-up va prendre une toute nouvelle dimension. Dès lors, une nouvelle IA va voir le jour, d’une puissance insoupçonnée. Une invention démoniaque qui va cependant peu à peu échapper au contrôle de ses créateurs et bouleverser potentiellement tout l’équilibre du monde tel que nous le connaissons.

La réponse ne pourra alors venir que d’une nouvelle forme d’intelligence capable de cumuler les performances de l’IA avec les capacités humaines. Viendra l’ère ces Centaures, une élite intellectuelle et financière seule habilitée à progressivement quitter leur enveloppe humaine pour dans un premier temps contrer les machines devenues hostiles puis définir un nouvel ordre à l’échelle planétaire avant que de conquérir un ensemble plus vaste.

Derrière cette histoire fort bien menée et qui sait tenir le lecteur en haleine de bout en bout sont en réalité abordés de nombreux sujets philosophiques. Qu’est-ce-que la conscience ? Faut-il ou non en doter les IAs ? Quelle est la place de l’Homme dans une société en voie de numérisation massive ? La violence est-elle la seule forme possible pour régler les concurrences dans l’interminable lutte de l’évolution ? Jusqu’où, de façon générale, voulons-nous véritablement aller une fois qu’informatique, biochimie et neuroscience auront massivement convergé ce qui est en train d’être le cas ?

Autant de questions qu’Olivier Silberzahn ne découvre pas en tant que Polytechnicien (et cycliste !) ayant mené toute une partie de sa carrière sur ces sujets hautement technologiques. Comme il le rappelle lui-même en fin d’ouvrage, l’ensemble des technologies et travaux auxquels il fait explicitement référence existent. Rien n’est inventé. Seules les évolutions envisagées à moyen et long-terme, dans toute leur forme extrême proposée dans ce roman, sont des hypothèses parmi plusieurs scenarii possibles.

Tout cela est passionnant, un brin terrifiant et en appelle à nos consciences humaines avant que les machines ne répondent à notre place et n’imposent leur propre logique. CQFD…

Publié aux Editions Maurice Nadeau – 2019 – 396 pages

19.8.19

L’erreur est humaine – Aux frontières de la rationalité – Vincent Berthet Voici un excellent livre publié par les assez confidentielles éditions du CNRS dont nous vous invitons d’ailleurs à découvrir le riche et étonnant fonds de publications. Largement inspiré par les travaux de Daniel Kahneman vulgarisés dans l’indispensable Système 1 système 2 dont nous avons par ailleurs rendu compte, Vincent Berthet nous démontre implacablement en quoi notre pensée, que l’on croit souvent rationnelle, est sans cesse leurrée. A cela, de très nombreuses raisons illustrées par d’innombrables exemples pédagogiques (même si, pour certains d’entre eux, il vaut mieux avoir conservé de solides bases de ses cours de mathématiques Terminale C ou S selon l’époque). Tout d’abord, dans bien des cas c’est notre incapacité à appréhender les probabilités conditionnelles qui nous induit en erreur. Au lieu de nous livrer à un calcul – plus ou moins complexe selon qu’on dispose des données et du savoir – de probabilités basée sur le théorème de Bayle, nous occultons un paramètre apparemment mineur pour en déduire une conclusion totalement fausse. Cela affecte quotidiennement le domaine de la justice, de la médecine et nos préférences de choix. Ensuite, selon la façon dont nous ordonnançons nos phrases, toutes choses égales par ailleurs, nous émettons un signal positif ou négatif qui nous fera percevoir une même assertion de manière totalement inverse. Les marketers et publicistes sont depuis longtemps passés maîtres en la matière ! Enfin, tandis que l’évolution a contribué à organiser notre cerveau en deux hémisphères et à développer nos réactions en deux grandes catégories (cf Système 1, Système 2), nous allons réagir de manière automatique car programmée pour ce faire ou plus analytique en étant quasiment dans l’impossibilité de contrer ces phénomènes résultant de millions d’années d’évolution. On ne s’ennuie pas une seconde dans ce formidable ouvrage qui intéressera toute personne désireuse de mieux comprendre comment nous nous trompons par nous-mêmes en toute bonne foi ! Publié aux Editions du CNRS – 2018 – 218 pages



Voici un excellent livre publié par les assez confidentielles éditions du CNRS dont nous vous invitons d’ailleurs à découvrir le riche et étonnant fonds de publications. Largement inspiré par les travaux de Daniel Kahneman vulgarisés dans l’indispensable Système 1 système 2 dont nous avons par ailleurs rendu compte, Vincent Berthet nous démontre implacablement en quoi notre pensée, que l’on croit souvent rationnelle, est sans cesse leurrée.
A cela, de très nombreuses raisons illustrées par d’innombrables exemples pédagogiques (même si, pour certains d’entre eux, il vaut mieux avoir conservé de solides bases de ses cours de mathématiques Terminale C ou S selon l’époque). Tout d’abord, dans bien des cas c’est notre incapacité à appréhender les probabilités conditionnelles qui nous induit en erreur. Au lieu de nous livrer à un calcul – plus ou moins complexe selon qu’on dispose des données et du savoir – de probabilités basée sur le théorème de Bayle, nous occultons un paramètre apparemment mineur pour en déduire une conclusion totalement fausse. Cela affecte quotidiennement le domaine de la justice, de la médecine et nos préférences de choix.
Ensuite, selon la façon dont nous ordonnançons nos phrases, toutes choses égales par ailleurs, nous émettons un signal positif ou négatif qui nous fera percevoir une même assertion de manière totalement inverse. Les marketers et publicistes sont depuis longtemps passés maîtres en la matière !
Enfin, tandis que l’évolution a contribué à organiser notre cerveau en deux hémisphères et à développer nos réactions en deux grandes catégories (cf Système 1, Système 2), nous allons réagir de manière automatique car programmée pour ce faire ou plus analytique en étant quasiment dans l’impossibilité de contrer ces phénomènes résultant de millions d’années d’évolution.
On ne s’ennuie pas une seconde dans ce formidable ouvrage qui intéressera toute personne désireuse de mieux comprendre comment nous nous trompons par nous-mêmes en toute bonne foi !
Publié aux Editions du CNRS – 2018 – 218 pages
Voici un excellent livre publié par les assez confidentielles éditions du CNRS dont nous vous invitons d’ailleurs à découvrir le riche et étonnant fonds de publications. Largement inspiré par les travaux de Daniel Kahneman vulgarisés dans l’indispensable Système 1 système 2 dont nous avons par ailleurs rendu compte, Vincent Berthet nous démontre implacablement en quoi notre pensée, que l’on croit souvent rationnelle, est sans cesse leurrée.
A cela, de très nombreuses raisons illustrées par d’innombrables exemples pédagogiques (même si, pour certains d’entre eux, il vaut mieux avoir conservé de solides bases de ses cours de mathématiques Terminale C ou S selon l’époque). Tout d’abord, dans bien des cas c’est notre incapacité à appréhender les probabilités conditionnelles qui nous induit en erreur. Au lieu de nous livrer à un calcul – plus ou moins complexe selon qu’on dispose des données et du savoir – de probabilités basée sur le théorème de Bayle, nous occultons un paramètre apparemment mineur pour en déduire une conclusion totalement fausse. Cela affecte quotidiennement le domaine de la justice, de la médecine et nos préférences de choix.
Ensuite, selon la façon dont nous ordonnançons nos phrases, toutes choses égales par ailleurs, nous émettons un signal positif ou négatif qui nous fera percevoir une même assertion de manière totalement inverse. Les marketers et publicistes sont depuis longtemps passés maîtres en la matière !
Enfin, tandis que l’évolution a contribué à organiser notre cerveau en deux hémisphères et à développer nos réactions en deux grandes catégories (cf Système 1, Système 2), nous allons réagir de manière automatique car programmée pour ce faire ou plus analytique en étant quasiment dans l’impossibilité de contrer ces phénomènes résultant de millions d’années d’évolution.
On ne s’ennuie pas une seconde dans ce formidable ouvrage qui intéressera toute personne désireuse de mieux comprendre comment nous nous trompons par nous-mêmes en toute bonne foi !
Publié aux Editions du CNRS – 2018 – 218 pages