Le métier de traducteur n’est pas toujours drôle. Une fois une commande reçue, quel que soit l’intérêt et la qualité de l’ouvrage, il faut le lire une première fois, s’en imprégner, puis lire et relire au fur et à mesure que le travail souvent injustement méconnu de traduction, progresse.
Avec ce roman qui tire son nom d’un portrait réalisé par un peintre de la Renaissance à la ressemblance troublante avec l’un de ses multiples personnages, Michaël, jeune homme brillant, qui ressent profondément la souffrance du monde au point d’en être interné en hôpital psychiatrique, le traducteur a dû rêver, souvent, d’un autre métier…
Il faut dire que le livre est particulièrement assommant. Passe encore que la linéarité temporelle soit bafouée : on en a vu d’autres et cela permet souvent de structurer par composantes essentielles la trame narrative, sauf ici !
Derrière une volonté louable de peupler l’ouvrage de nombreux personnages secondaires qui, tous sans exception, souffrent d’un profond mal de vivre typiquement russe, d’alcoolisme plus ou moins démonstratif, de pulsions suicidaires et d’une vie de couple pour le moins tumultueuse, le lecteur se trouve bien vite perdu par une prolifération non maîtrisée de personnages qui ont tous des comptes à régler avec l’autre sexe.
Au bout de trente pages, on ne sait déjà plus qui est qui, qui est amant, ou l’a été, de qui, qui veut tuer qui ou qui veut se tuer.
Le récit se déroule principalement entre un New York accablé de neige et de verglas et un Moscou engourdi par un immense manteau blanc. Quand ils se trouvent dans l’une de ces villes, chacun des personnages n’a de cesse que de la quitter pour rejoindre une improbable âme sœur qui, bien sûr, a élu domicile sur l’autre continent.
Une fois sur place, leur court bonheur fait immédiatement le malheur du conjoint trompé quand il ne provoque pas la mort, souvent violente, de l’être aimé. Le tout par une succession de portraits juxtaposés, décalés dans le temps et l’espace, d’où l’on glisse dans un profond engourdissement.
Bref, pour plagier Shakespeare, “beaucoup de bruit pour rien”.
J’ai manqué par trois ou quatre fois de refermer le livre irrité par cet évident manque de talent et de maîtrise. Ce n’est que poussé par le devoir d’en rendre compte ici que je me suis accroché.
A oublier au plus vite !
Publié aux Editions Jacqueline Chambon – 302 pages
Blog d'humeur littéraire - Livres, lectures, romans, essais, critiques. La lecture comme source de plaisir, d'inspiration et de réflexion.
22.12.07
15.12.07
Nuage rouge – Christian Gailly
Un homme roule sur un chemin, tard en soirée. Tout à coup, il croise la voiture d’un de ses amis. Au volant, une femme, inconnue. Aucune trace de son ami, ni à l’avant, ni à l’arrière. Un détail choque : la femme qui conduit a l’air hagard et le visage plein de traces rouges.
Son ami sera retrouvé par lui mais, pour cet ami, rien ne pourra plus jamais être comme avant. Il le charge alors de retrouver cette femme que, malgré les circonstances que vous découvrirez, il aime follement.
A cette quête substitutive s’adjoindra bientôt un amour par transfert pour une femme mystérieuse et qui joue au chat et à la souris avec ces deux hommes, tout le monde dissimulant sur ce qu’il sait, croit savoir ou fait semblant de savoir.
Avec une écriture très incisive, résolument moderne, insérée dans de courts chapitres qui donnent un rythme de polar mystique à ce roman assez novateur, Christian Gailly nous interpelle sur la fidélité en amitié et en amour. Jusqu’où accepter d’aller par souci de l’autre et a-t-on le droit de sacrifier une relation à une autre, par lassitude, dévotion ou par souci du bien-être d’un tiers ?
Dans cette quête assez alambiquée de l’autre se joue une petite poésie faite de répétitions volontaires et qui rendent le temps qui s’écoule plus dense, plus structuré. Il s’en dégage aussi un humour un peu décalant et qui prête à sourire.
De nombreuses surprises nous attendent au détour des chapitres tenant le lecteur en haleine jusqu’au bout.
Une assez belle réussite sans toutefois en faire un texte fondateur. Il y a de la marge…
Publié aux Editions de Minuit – 191 pages
Son ami sera retrouvé par lui mais, pour cet ami, rien ne pourra plus jamais être comme avant. Il le charge alors de retrouver cette femme que, malgré les circonstances que vous découvrirez, il aime follement.
A cette quête substitutive s’adjoindra bientôt un amour par transfert pour une femme mystérieuse et qui joue au chat et à la souris avec ces deux hommes, tout le monde dissimulant sur ce qu’il sait, croit savoir ou fait semblant de savoir.
Avec une écriture très incisive, résolument moderne, insérée dans de courts chapitres qui donnent un rythme de polar mystique à ce roman assez novateur, Christian Gailly nous interpelle sur la fidélité en amitié et en amour. Jusqu’où accepter d’aller par souci de l’autre et a-t-on le droit de sacrifier une relation à une autre, par lassitude, dévotion ou par souci du bien-être d’un tiers ?
Dans cette quête assez alambiquée de l’autre se joue une petite poésie faite de répétitions volontaires et qui rendent le temps qui s’écoule plus dense, plus structuré. Il s’en dégage aussi un humour un peu décalant et qui prête à sourire.
De nombreuses surprises nous attendent au détour des chapitres tenant le lecteur en haleine jusqu’au bout.
Une assez belle réussite sans toutefois en faire un texte fondateur. Il y a de la marge…
Publié aux Editions de Minuit – 191 pages
9.12.07
La double conversion d’Al-Mostancir – Hubert Haddad
Mais d’où vient donc que l’on n’entende pas particulièrement parler de cet auteur d’origine tunisienne ?
Sa langue est sublime de poésie, à la fois orientale par sa luxuriance, sa richesse de vocabulaire sans franchir des limites qui en feraient une langue pédante, et d’une modernité occidentale. On se laisse bercer par la magie des mots, les couleurs et les odeurs défilent devant nos sens émerveillés au fur et à mesure que la lecture de ce merveilleux conte progresse.
L’idée est originale et force l’admiration par la maîtrise que l’auteur en a.
Louis IX fait le siège de Tunis. Frappé par la peste et le « mal des entrailles », il se meurt lentement comme tant de nobles chevaliers avec lui. Frappé du même mal, le berger de l’armée, Saïd, râle.
Louis IX va usurper l’identité de Saïd et Saïd devenir la dépouille royale, défigurée et putrescente. Enfin libéré des obligations de sa charge, le roi moine, qui survivra à son mal et se réveillera des morts, va pouvoir se consacrer à sa seule passion : la méditation et la prière.
Mais la force de son caractère, son calme et son sourire permanent, sa foi qui deviendra musulmane ne vont pas tarder à faire de lui un prophète respecté, adulé que l’Emir Al-Mostancir, qui aura défait les Francs, fera venir à lui pour réveiller une foi qui s’éteint.
Hubert Haddad fait preuve d’une culture historique remarquable et maîtrise brillamment les principes fondateurs des deux religions majeures qui s’affrontent pour finir par se confondre en grande partie. Nous voilà en quelques traits de plume transportés près de six cents ans en arrière et nous souffrons de la chaleur, de l’ardeur des combats, de la maladie surtout qui décime plus que l’ennemi musulman l’armée papale.
La magie de l’auteur est de nous faire glisser imperceptiblement de la conscience au rêve du roi mourant. Ce que nous voyons se dérouler sous nos yeux, c’est l’agonie mentale royale, le rêve formé par les fièvres. Cette rêverie poétique interpelle le roi, inconsciemment, et nous avec, sur la réalité de la foi, la prétendue supériorité d’une religion sur une autre, le renoncement à l’amour physique et la découverte du plaisir de la chair avec une belle musulmane imaginée. C’est un rêve de dépouillement extrême, de totale pauvreté pour n’avoir aucune obligation et pouvoir poursuivre son chemin vers son destin, en paix avec soi et avec le monde avant que de le quitter en remettant son âme à celui que sa naissance a fait son Dieu.
Un livre extraordinaire qui donne une irrépressible envie de se précipiter sur les autres ouvrages de ce prolifique auteur contemporain, touche à tout de la littérature car auteur de romans, de nouvelles, de théâtre comme de poésie.
Un des grands livres de Cetalir !
Sa langue est sublime de poésie, à la fois orientale par sa luxuriance, sa richesse de vocabulaire sans franchir des limites qui en feraient une langue pédante, et d’une modernité occidentale. On se laisse bercer par la magie des mots, les couleurs et les odeurs défilent devant nos sens émerveillés au fur et à mesure que la lecture de ce merveilleux conte progresse.
L’idée est originale et force l’admiration par la maîtrise que l’auteur en a.
Louis IX fait le siège de Tunis. Frappé par la peste et le « mal des entrailles », il se meurt lentement comme tant de nobles chevaliers avec lui. Frappé du même mal, le berger de l’armée, Saïd, râle.
Louis IX va usurper l’identité de Saïd et Saïd devenir la dépouille royale, défigurée et putrescente. Enfin libéré des obligations de sa charge, le roi moine, qui survivra à son mal et se réveillera des morts, va pouvoir se consacrer à sa seule passion : la méditation et la prière.
Mais la force de son caractère, son calme et son sourire permanent, sa foi qui deviendra musulmane ne vont pas tarder à faire de lui un prophète respecté, adulé que l’Emir Al-Mostancir, qui aura défait les Francs, fera venir à lui pour réveiller une foi qui s’éteint.
Hubert Haddad fait preuve d’une culture historique remarquable et maîtrise brillamment les principes fondateurs des deux religions majeures qui s’affrontent pour finir par se confondre en grande partie. Nous voilà en quelques traits de plume transportés près de six cents ans en arrière et nous souffrons de la chaleur, de l’ardeur des combats, de la maladie surtout qui décime plus que l’ennemi musulman l’armée papale.
La magie de l’auteur est de nous faire glisser imperceptiblement de la conscience au rêve du roi mourant. Ce que nous voyons se dérouler sous nos yeux, c’est l’agonie mentale royale, le rêve formé par les fièvres. Cette rêverie poétique interpelle le roi, inconsciemment, et nous avec, sur la réalité de la foi, la prétendue supériorité d’une religion sur une autre, le renoncement à l’amour physique et la découverte du plaisir de la chair avec une belle musulmane imaginée. C’est un rêve de dépouillement extrême, de totale pauvreté pour n’avoir aucune obligation et pouvoir poursuivre son chemin vers son destin, en paix avec soi et avec le monde avant que de le quitter en remettant son âme à celui que sa naissance a fait son Dieu.
Un livre extraordinaire qui donne une irrépressible envie de se précipiter sur les autres ouvrages de ce prolifique auteur contemporain, touche à tout de la littérature car auteur de romans, de nouvelles, de théâtre comme de poésie.
Un des grands livres de Cetalir !