13.8.07

La forteresse – Robert Hasz

Il y a du Buzzati, du Borges dans ce fascinant et superbe roman de Robert Hasz, écrivain contemporain d’origine yougoslave.

Maxim Livius est un jeune homme un peu nonchalant, partagé entre l’amour de deux sœurs, perdu dans un village écrasé l’été par le soleil, l’hiver par la neige. Pour éviter d’être confronté à de multiples choix personnels, il se fait appeler par l’armée au moment où l’ex-Yougoslavie commence à donner d’évidents signes de craquements et de guerre civile.

A deux semaines de sa libération, le voici muté sans explication et pour une durée illimitée dans une citadelle moyenâgeuse, perdue au milieu du désert.

Au sein de la Forteresse, la vie prend une autre tournure : le temps n’a plus la même consistance, le présent se confond avec le passé qui surgit sans prendre gare et que l’on peut réinventer et matérialiser.

C’est à partir de cet argument que Hasz va nous livrer un extraordinaire roman au souffle majestueux. Une galerie de personnages truculents et inhabituels va se charger de nous plonger au sein d’une dimension parallèle : un colonel désabusé mais habité par l’Ordre, celui de défendre la colline à tout prix contre un ennemi invisible et une attaque improbable ; un cuisinier habité par le mysticisme et qui voit Dieu exaucer ses commandes au service d’une cuisine elle-même divine ; un magasinier qui loin de remettre les uniformes indispensables, marchande tout, pour le plaisir, en échange de services à inventer…

Nous n’avons aucune idée, jusqu’à la dernière page, de là où l’auteur veut nous mener. Qui manipule qui ? Qu’est-ce qui est du réel et de l’imaginaire ? Qui est derrière cette mascarade militaire dans cette forteresse abandonnée des hommes ? Pourquoi tant d’évènements inexplicables ? Comment se forme cette paranoïa ambiante qui fait croire aux hommes qu’ils sont l’objet d’une gigantesque expérience extra-terrestre ?

On nous laisse voir des pistes qui se referment bientôt pour mieux nous happer. Le truc est classique mais fonctionne toujours aussi bien, surtout quand il est manié avec un tel talent.

Hasz sait nous faire imperceptiblement glisser entre le présent réel et le passé réinventé comme si cette forteresse était un lieu de purification, un creuset permettant à ceux qui y échouent de se débarrasser du superflu, d’y voir clair en eux. Les personnages oscillent sans arrêt entre une réalité objective absurde dans un monde militaire sans commandement, sans règles immanentes, sans buts, sans temps, sans armes ,à la nourriture et la boisson pour ainsi dire infinies et à laquelle il faut bien tenter une explication rationnelle, et la tentation de la folie prenant la forme d’une douce rêverie qui envoûte les habitants infortunés.

Pour couronner le tout, la fin est franchement décalée et constitue un superbe clin d’œil à ce qui fit la force et la limite de l’ancien régime qui eut au moins le mérite de maintenir ensemble des peuples qui ne pensaient à s’entre-déchirer.

Un vrai régal qu’une fois commencé, vous ne pourrez plus lâcher !

Publié aux Editions Viviane Hamy – 252 pages

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