23.2.08

D’un pas tranquille – Anne Bragance

Encore un roman dont l’écriture et le style laissent fortement à désirer… Sans parler du fond !

Anne Bragance s’embarque dans une construction polyphonique entre sept personnages principaux (deux sœurs jumelles, un frère et une sœur, deux mères veuves, un barman) dont la vie et les sentiments sont compliqués par des obstacles insurmontables. La tonalité générale est le désamour de soi par le non accomplissement de son amour pour l’autre.

Une des sœurs jumelles, muette, tombe amoureuse d’un beau ténébreux qui passe ses soirées au bar du casino de Cannes. Les échanges se font à coups de billets griffonnés et aussitôt déchirés. C’est là l’un des rares moments de relative illumination littéraire de l’auteur.

Manque de chance, le ténébreux en question est amoureux du barman qui lui ne l’aime pas. Par des fils d’intrigue assez alambiqués et artificiels, tout ce petit monde va se rencontrer et s’espionner plus ou moins pour contrarier les sentiments d’un ou de plusieurs autres afin de faire triompher les siens.

La tragédie s’en mêlera et nous mènera à une fin désirée par le lecteur qui n’en peut plus. En tout cas, je suis arrivé très vite à saturation.

Le chapitres sont tous sur le même mode : courts, faits de phrases minimalistes au vocabulaire pauvre comme l’inspiration d’Anne Bragance. Sans une attention soutenue qu’il est difficile de lui accorder, on décroche assez vite de ce galimatias parfaitement inutile.

Actes Sud nous avait pourtant habitué à des publications d’une autre qualité ! A oublier …

Publié aux Editions Actes Sud – 213 pages

La Madone des Sleepings – Maurice Dekobra

Grand reporter, scénariste, traducteur des classiques de langue anglaise, Maurice Dekobra est aussi un écrivain à part.

La Madonne des Sleepings est un amusant roman, mélange de divers genres, qui résume à lui seul assez bien le style original et loufoque de l’auteur.

Mélange des genres car on y trouve, pêle-mêle mais savamment agencés, de l’aventure romanesque à l’ancienne, de l’amour, du roman policier le tout dans un style unique très anglais. Assez décalé grâce à la technique de l’under-statement.

La langue y est riche et fleurie et toute situation a priori banale se voit fréquemment décrite derrière de savantes périphrases pleines d’humour et de dérision qui traduisent une maîtrise assez époustouflante de la langue de Molière. Impressionnant et amusant !

En revanche, n’attendez pas de révolution du côté de l’intrigue. Elle est assez convenue et un peu trop souvent prévisible, à mon goût. Il y a certes de nombreux rebondissements qui savent tenir le lecteur en haleine sans toutefois égaler les Maîtres du thriller. C’est la réelle limite du genre et de ce roman. C’est un peu longuet et convenu…

L’intrigue nous mène dans la jet set londonienne où une riche et belle veuve, Lady Diana, défraie la chronique de la bonne société des années vingt. Tout en multipliant les conquêtes pour son bon plaisir, il va lui falloir trouver un stratagème pour combler les pertes abyssales que des placements malheureux combinés à des dépenses somptuaires ont entraîné.

Grâce au service d’un parfait gentleman, Prince français, une intrigue compliquée vous mènera en Angleterre et surtout en Russie bolchévique afin de faire valoir des droits de la belle dame sur des champs pétrolifères confisqués par les communistes . Nous y rencontrerons de véritables personnages de bandes dessinées, mélanges de politiciens véreux, d’espions et de gens du monde que la passion n’épargne pas, avec lesquels le Prince Seliman et Lady Diana vont devoir composer pour sauver fortune et âmes. Un peu roman de gare mais le panache en plus !

Je ne vous en dirai pas plus. On y passe un bon moment surtout si l’on prend l’histoire d’assez loin et que l’on se concentre sur les exploits de composition littéraire dont Dekobra nous éblouit.

Pas un must, mais à découvrir si vous êtes curieux.

Publié aux Editions Zulma – 313 pages

16.2.08

Je ne suis pas là – Slavenka Drakulic

Une jeune femme de vingt-neuf ans, serbe par sa mère, musulmane par son père, se trouve nommée institutrice dans un petit village bosniaque peu de temps avant le déclenchement du conflit des Balkans.

Tout à coup, la guerre fait irruption dans sa vie jusqu’alors parfaitement paisible. Le soldats ramassent les femmes et les enfants du village, un matin de juin, pour les embarquer dans un camp. Pendant ce temps, les hommes sont rassemblés pour être exécutés un peu plus loin dans la forêt.

Après avoir cru à un parcage temporaire, les femmes doivent se faire à l’idée que leur installation précaire va durer. Au moins jusqu’à l’hiver.

Bientôt, l’institutrice ira rejoindre la « chambre des femmes » où les plus jolies jeunes femmes du camp ont été sélectionnées et confinées. Débutera l’horreur des viols à répétition, des tortures morales et psychologiques, de l’humiliation constante, des meurtres aussi. Pendant ce temps, à quelques minutes de là, les hommes sont assassinés, après être horriblement mutilés, par les soldats serbes puis brûlés dans les bennes à ordures.

Slavenka Drakulic décrit avec une plume précise et une langue simple l’horreur des camps et l’infinie capacité de la nature à inventer les moyens de détruire les ennemis du moment avec bestialité, après leur avoir fait subir les pires outrages.

Il est difficile de ne pas être bouleversé par ces scènes suggérées, parfois crûment décrites, où la mort violente prend de multiples formes, chaque fois plus inventives, et dont sont les témoins subis les femmes de ce camp.

L’auteur sait nous indiquer les stratégies de survie, l’importance de ne penser qu’à soi pour sauver sa peau ainsi que la solidarité de ces neuf femmes, esclaves sexuelles d’une horde de soldats ivres et féroces.

Ce livre est aussi une réflexion intime et douloureuse sur la grossesse subie après un viol et sur les interrogations qui entourent la naissance à venir sans qu’on ne puisse jamais connaître le père. La douleur d’être mère sans l’avoir voulu, d’être celle qui assurera la descendance de ses tortionnaires.

Il nous donne enfin à comprendre comment et pourquoi beaucoup de ces mères n’ont eu d’autres choix que d’étouffer ou d’étrangler leurs bébés, à peine nés, pour survivre et effacer une faute dont elles n’ont aucune responsabilité.

Un livre dur, poignant, indispensable pour comprendre de l’intérieur, à travers le destin d’une femme parmi tant d’autres, ce qui s’est passé à trois heures de chez nous il y a quinze ans à peine. Pour ne pas, ne jamais, oublier.

Publié aux Editions Belfond – 254 pages

La colère d’Achille – Charles Ficat

Dommage ! L’idée était belle : Achille mort se met à rêver à voix haute de sa vie, de ses exploits, de sa grandeur comme de ses faiblesses et vient à regretter la vie qu’il a quittée. Il réalise combien il l’a aimée, plus que la gloire et la grandeur.

Malheureusement, Charles Ficat s’est pris les pieds dans le tapis. Le style est inutilement pompeux et ampoulé et les références constantes, bien que parfaitement légitimes, aux héros antiques à la cosmologie grecque ont tôt fait de laisser le lecteur sur la touche, saturé d’une histoire qui lui est extérieure.

Il eût été tellement percutant et intéressant de donner un ton moderne, de revisiter la mythologie en mettant en évidence la permanence des sentiments qui entraînent et motivent les héros antiques. Au lieu de cela, on nous sert un cours d’histoire spécialisé, indigeste et assez mal écrit.

A éviter sauf à être un érudit de la question !

Publié aux Editions Bartillat - 175 pages

12.2.08

Oholida des songes – Hubert Haddad

Etrange titre pour un étrange récit qui hésite sans arrêt entre roman, poésie et théâtre, trois domaines dans lesquels Hubert Haddad excelle.

Partout où le monde est en guerre, où les peuples fuient, où les enfants tombent, en victimes ou en soldats, Samuel Faun, photographe de guerre, se dresse pour faire de ses photos célèbres un témoignage de la passivité de l’occident.

De retour d’Erythrée, Samuel, qui vit à New York, va tomber au hasard d’une soirée alcoolisée dans un improbable théâtre off. S’y joue une pièce en yiddish, « Oholida des Songes ».

Fasciné par des paroles qui lui rappellent son enfance, avant que les nazis n’emportent ses parents, troublé par la superbe femme qui joue l’un des deux rôles de cette pièce, Samuel se rend chaque soir dans ce théâtre où le public semble éternellement identique.

L’attraction exercée par cette pièce devient tellement intense, le besoin de rencontrer cette femme si absolu, alors qu’il n’a jamais pu, su ou voulu s’attacher à la moindre compagne, vivant d’amours sans lendemain ou de prostituées des ports de guerre, interdisent à Samuel de reprendre le chemin des conflits qui pourtant l’attendent.

S’en suit une longue et troublante quête de l’autre pour mieux se comprendre soi. Jusqu’à la perte, jusqu’à la limite de la folie ou de la tentation de suicide.

Une fois de plus, Hubert Haddad a choisi un thème difficile qui nécessite maîtrise, talent et habilité pour conserver l’attention fortement sollicitée du lecteur.

Si vous cherchez un livre facile, passez votre chemin. Si vous êtes en quête d’originalité, d’exigence, de vocabulaire riche et étonnant et que le mélange des genres ne vous effraie pas, ce livre alors est pour vous.

Vous pénétrerez dans un monde où il convient de chercher derrière les apparences pour découvrir qui est vraiment l’autre, où l’authenticité ne se révèle qu’une fois que l’on s’est dépouillé de tout.

Ohalida étant un autre nom de Jérusalem, happé par une histoire d’amour plus forte que tout, Samuel n’aura d’autre choix que de retrouver ses sources et de faire le voyage vers la ville biblique que l’aimée disparue lui aura soufflé.

Un voyage pour se transfigurer, un voyage pour s’accepter définitivement, à l’aube de la vieillesse avant qu’il ne soit trop tard. Un voyage d’une rare densité qui nous mène par Djibouti, New York, Beyrouth et Jérsusalem.

Un très beau livre qui ne se laisse pas facilement apprivoiser.

Publié aux Editions Zulma – 318 pages

11.2.08

Sur la dune – Christian Oster

Voici un roman dont je ne serai pas surpris qu’il devînt un futur scénario d’un film à la française. Il en a tous les ingrédients : une nostalgie certaine, une lenteur de l’action elle-même très ramassée dans le temps, des personnages pittoresques et qui n’arrivent pas à réellement s’assumer ou à exister, un caractère intimiste, sans parler de dialogues minimalistes.

Le thème est simple et pourtant original. Paul, homme sans âge (nous dirons entre trente et quarante), descend sur Bordeaux pour aider un couple d’amis à désensabler leur maison sur les dunes. Lui prend, un peu par hasard, l’idée de s’installer à Bordeaux pour refaire une vie qu’on devine marquée par une succession de vides et d’histoires sans lendemain.

Pourtant, Paul ne trouvera pas le couple d’amis sur place. Ils se sont disputés et sont, chacun de leur côté, rentrés sur Paris. Paul est pris au dépourvu et doit trouver une chambre alors que tous les hôtels ouverts sont pleins. Il n’y a pas d’autre solution que de partager la chambre d’un inconnu, Charles. Celui-ci est marié mais vit à côté de son épouse, Ingrid, qui occupe une chambre seule. Ingrid n’est autre que la femme belle et troublante que Paul a entr’aperçu, le soir, dans le hall d’accueil.

Il retrouvera par hasard le lendemain cette jeune femme qui est elle aussi en train de désensabler sa maison, voisine de celle des amis de Paul. Très vite, Paul va s’immiscer dans la vie de ce couple étrange, dont il côtoie séparément les constituants, jusqu’à devenir un élément indispensable à son évolution.

Derrière une écriture simple et dépouillée, Christian Oster a su trouver le rythme et les mots pour nous inviter dans la tête, les émotions et les fantasmes de ses personnages en mal d’être aimés d’abord parce qu’ils ne savent pas, en grande partie, s’aimer eux-mêmes.

C’est par petites touches, gravées dans des chapitres incisifs, que l’auteur va faire progresser cette relation à trois, puis à quatre, chacun ayant besoin d’un ou deux des autres pour trianguler une relation impossible sans la présence désirée, et savamment provoquée, de Paul. Une fois commencée, impossible d’arrêter la lecture pris que nous sommes dans la musique des sentiments qui, peu à peu, se mettent en place.

Un court roman sympathique et à ranger sans hésitation dans la série des recommandations de Cetalir.

Publié aux Editions de Minuit – 191 pages

1.2.08

La bibliothèque du géographe – Jon Fasman

Le titre du roman nous paraît plus vendeur que conforme à l’intrigue. Car c’est bien d’une bibliothèque qu’il s’agit, et des mystères qu’elle recèle, mieux protégés qu’une citadelle, mais de celle d’un obscur professeur de langues baltiques dans l’Etat du Michigan.

Ceci dit, le roman vaut le détour. Jon Fasman nous a concocté une sorte de polar haletant où la quête de mystérieux objets, tous ou presque en provenance d’Asie Mineure et vieux de plusieurs siècles, nous mène aux quatre coins du monde.

Cette quête dont on comprend bien vite qu’elle est en rapport direct avec des procédés alchimiques à l’importance extrême est réalisée par de douteux sbires membres d’une confrérie secrète et en prise directe avec les réseaux de pouvoir de l’ex URSS. Anciens du KGB, du Parti Communiste, apparatchiks et autres militaires de haut rang n’hésitent pas à s’emparer des trésors convoités à force de ruse, de duplicité, d’argent et de meurtres. Peu à peu, nous en devinons l’usage que leur rassemblement permettra.

L’autre force de ce roman bien documenté, c’est de nous faire poursuivre en parallèle cette quête meurtrière et l’enquête menée par un jeune journaliste, Paul Tomm, sur le décès violent d’un obscur professeur Estonien à l’Université dont lui-même est issu. Chapitre après chapitre, des connexions vont s’établir entre deux histoires au départ en apparence parallèles.

Bien malgré lui, à force de pugnacité alimentée par l’amour éprouvée pour une dangereuse professeur de musique et grâce à l’aide bienveillante d’un policier violent et placardisé, Paul Tomm va se trouver au centre d’une intrigue qui le dépasse dans ses enjeux.

Virées nocturnes, chasse à l’homme, crochetage de serrures, marchandages et intimidations, tout est là pour alimenter une bonne intrigue bien construite.

Il ne faut pas chercher le moindre intérêt littéraire à ce roman bien ficelé. Il vous apporte en revanche son lot de suspens, de rebondissements et vous tient vaillamment en haleine pendant quatre ou cinq heures. Bref, objectif atteint pour Jon Fasman !

Publié aux Editions du Seuil – 394 pages