Imaginez un instant que ce qui gouverne le monde d’un futur proche soit la Littérature. A tel point que des sectes se constituent pour décider qui, des Shakespeariens ou des Byronniens, l’emporte sur l’autre, que des automates postés dans les lieux publics récitent à la demande des morceaux choisis des meilleures pièces de Shakespeare et que des Brigades Spéciales, les Literatec, soient constituées pour traquer le grand banditisme littéraire.
Un grand banditisme qui vise à s’emparer de manuscrits originaux pour les modifier et les revendre, imités à la perfection, sous le manteau. Pour créer de pseudo-originaux reprenant le style, la structure syntaxique, le vocabulaire habituels des grands auteurs classiques.
Jasper Fforde nous entraîne avec une imagination et un humour décapants dans un monde totalement fou, un monde coincé dans une guerre qui dure depuis cent trente ans et qui opposent Russes et Anglais pour un bout de presqu’île perdu en Crimée.
Une guerre qui pourrait tourner définitivement au profit des Anglais si certains secrets de fabrication d’une arme définitive, sans riposte mais non atomique, étaient définitivement découverts. Des secrets qui existent dans le futur et qui pourraient être découverts par anticipation grâce à une machine à ouvrir le temps littéraire. Une machine devenue un enjeu crucial d’une lutte sans merci.
Mais c’est sans compter sur le terroriste Hadès, génie, ex-professeur de littérature, séducteur, capable de se rendre maître des cerveaux les plus faibles, meurtrier sans scrupules pour s’emparer de ce qui le rendra immortel : un manuscrit original. Inrepérable, invisible aux caméras, résistants aux balles, il se joue avec sarcasme de tous ses poursuivants.
Le manuscrit, ce sera celui du roman de Charlotte Brontë, « Jane Eyre », doù le titre du roman, qui va donner lieu à une empoignade où tous les coups sont permis entre les services spéciaux anglais, les services secrets paramilitaires, la société des protecteurs de Brontë et Thursday Next, inspectrice Literatec qui eut Hades comme professeur.
A partir de là, Fforde dévoile un talent impressionnant pour concocter une trame narrative brillante, soutenue, pleine de rebondissements. Un univers dans lequel les romans écrits dans le passé peuvent être modifiés grâce à une ingénieuse machine combinée à des vers capables d’agencer des synonymes ou de combiner de nouvelles phrases. Un univers où le temps se dissout et se fracture et où les personnages romanesques du XIXe siècle ont leur propre vie, leurs propres émotions, leurs propres désirs capables d’influencer notre vie à distance comme la technologie envisagée dans ce roman délirant sait le rendre possible dans l’autre sens.
Un univers où la loyauté continue à avoir un sens et où le courage se voit récompensé malgré l’adversité.
Nous assistons admiratifs au dialogue entre les personnages de ce roman inclassable et ceux de Brontë ou du poète William Wordsworth (quel beau nom pour un poète !), jusqu’à la réécriture partielle d’un des chefs-d’œuvre de Brontë en vue d’offrir une fin plus « happy end » et moderne que l’originale.
Il ne faut pas chercher le probable ou le réaliste : nous nageons en pleine techno-fiction dans un monde dont les limites physiques ont été repoussées et où se déplacer à travers le temps n’est pas si inhabituel que cela.
L’inspectrice Thursday Next aura bien du fil à retordre pour tenter de venir à bout de Hadès et devra passer par de multiples épreuves, dans ce monde réel et dans d’autres, pour mieux se connaître elle-même et venir à bout de ses propres démons.
Tout aussi génial, imaginatif et délirant qu’un Dune, qu’un Tolkien, que les Fourmis mais d’un genre à part.
A ne surtout pas rater !
Publié aux Editions Fleuve Noir – 389 pages
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire