Dans un style et un registre complètement différents d’Eldorado que nous avions beaucoup aimé, Laurent Gaudé, dans ce roman publié en 2002 chez Actes Sud, nous montre qu’il connaît et maîtrise ses classiques.
Il y a du Salambô et de l’Odyssée dans ce récit bouleversant, simple et essentiel. C’est peu dire du bien que nous en pensons avec de telles références !
Dans un style très dénudé où chaque phrase trouve immédiatement sa place et où un brin d’exotisme est toujours présent, sans emphase, l’auteur nous entraîne immédiatement au sein d’un récit allégorique qui tient du conte et du récit historique et philosophique.
De très courts chapitres, souvent nerveux, rythment l’action qui se déroule à toute allure bien que s’étayant sur de longues années. Chaque personnage est superbement campé et entre en scène pour ne plus échapper à son destin. Les pièces s’assemblent et vont broyer les pantins qui se débattent en vain…
C’est une véritable tragédie qui se déroule sous nos yeux et qui va conduire à une mort horrible et violente la plupart des protagonistes. Car il ne peut y avoir de rédemption que dans la mort, celle qu’on donne, pas celle qui vous prend au dépourvu. Tellement qu’à un point donné, on oublie pourquoi deux armées s’entretuent, pourquoi les frères d’une même famille se vouent une haine absolue au sein des deux camps que tout oppose et que se battre ne se justifie plus que pour vouloir se venger de la mort donnée à ses proches dont le nombre disparaît inexorablement. Une logique d’absurde sans autre issue que l’anéantissement réciproque.
A travers cette saga d’une éblouissante maestria et où les scènes de bataille sont rendues à la perfection, Laurent Gaudé nous donne à réfléchir au sens de l’honneur, au poids des décisions que nous sommes amenés à prendre et qui peuvent tout à coup faire basculer nos vies.
Un vieux roi africain, couvert de gloire, au soir de sa vie, s’apprête à marier sa fille chérie à un jeune prince. Un mariage politique, organisé pour renforcer un royaume tout puissant. Alors que la cérémonie commence, surgit un cavalier, ami d’enfance de la promise, orphelin et élevé par le vieux roi et à qui la jeune fille s’était promise. Une promesse enfantine, mais une promesse. Qui choisir alors que la même chose a été promise deux fois ?
Le vieux roi met au point un stratagème avant que de donner sa vie à celui à qui il l’avait lui aussi promise, bien des années plus tôt et qui attendait son heure. Mais le stratagème ne fonctionnera pas et c’est à la perte du royaume, de la cité royale et des siens que cette situation absurde va conduire. La plupart vont en mourir, les rares survivants y gagneront de s’être dépouillés après une longue quête douloureuse vers l’essentiel.
Où s’arrête la parole donnée, quel est le sens de la famille, qu’est-ce que le libre arbitre, jusqu’où ne pas aller trop loin sont autant de questions éternelles que Laurent Gaudé tente d’illustrer avec brio et parti-pris dans un roman qui devrait figurer comme un classique de la littérature française du XXIeme siècle. N’ayons pas peur des mots !
A lire de toute urgence.
Publié au Livre de Poche – 219 pages
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