Un très court récit (il se lit en une heure à peine) pour un très gros succès en librairie. Voici plusieurs semaines que « Où on va, Papa ? » occupe la tête des ventes et un certain temps d’antenne.
Il faut dire que le sujet, sur le fond (les enfants lourdement handicapés) et sur la forme (un récit autobiographique caustique et désabusé), est des plus inhabituels. Dans tous les cas, le livre dérange parce que, d’abord, il n’est pas statistiquement normal d’avoir deux enfants handicapés à la suite, comme ce fut le cas de JL Fournier.
Ensuite, parce que faire un troisième enfant avec tous les risques que cela pouvait comporter, aurait pu relever de la pure inconscience, d’une odieuse volonté de se perpétuer (j’allais dire perpétrer tellement cela aurait pu relever du forfait) à tout prix. Il a fallu la compréhension miraculeuse d’un médecin pour faire accepter cette naissance à un couple en déshérence et qui se raccroche comme il peut à une normalité qu’il leur faut inventer.
Ensuite, parce que pratiquer l’autodérision, en venir à souhaiter presque à voix haute la libération que pourrait représenter la mort prématurée de ses enfants, se raccrocher à un humour noir, grinçant et presque désespéré et, surtout, en faire état sans fausse pudeur dans un récit voulu pour être publié, ne constituent en rien des actes anodins. Il faut un courage certain et, sans doute, éprouver le besoin plus ou moins conscient de devoir absolument se libérer d’un poids, d’une fatalité, d’un Dieu qui s’acharnent sur vous sans raisons apparentes ou compréhensibles. Et c’est précisément cela qui fait la force, l’impact brutal, sans fard, de cette impudique confession.
A coups de chapitres choc, très courts, souvent de juste quelques lignes qui disent l’essentiel, la vérité crue, celle qui n’a pas besoin d’être appareillée de mots pour cacher ou embellir, JL Fournier nous entraine dans son enfer quotidien. Celui d’enfants rachitiques, bossus, incapables de s’exprimer correctement, n’imprimant rien dans des cerveaux « remplis de paille ». Des enfants capables de refaire dix fois, cent fois de suite les mêmes gestes, de proférer une seule phrase, celle du titre, en oubliant aussitôt la réponse qui leur est faite. Des enfants qui font des parias de vous, qui éclaircissent les rangs des amitiés, qui plombent à jamais votre vie, qui font voler en éclats votre couple parce que vous ne supportez plus. Par fois aussi, rarement, des enfants qui font rire de leur innocence ou de leur gentille bêtise.
On sort secoué en se disant qu’il faut être inconscient ou vaniteux pour vouloir donner la vie avec tout le risque que cela comprend…
Publié aux éditions Stock – 155 pages