Je faisais la découverte d’Alberto Manguel à travers ce roman récemment publié. Manguel, récompensé par un Prix Médicis Essais en 1998, est Argentin. C’est un être cosmopolite et à multiples facettes, vivant en France depuis de nombreuses années, écrivant habituellement en Anglais et ayant décidé, exceptionnellement, de recourir à l’Espagnol pour accoucher de ce dernier roman.
Manguel fait partie de ces écrivains qui aiment écrire sur l’écriture (comme De Prada ou Jaenada pour prendre deux figures que tout oppose !) et mettent en scène l’homme d’écriture qui se raconte ou promène le lecteur dans les affres de la composition. Attention, ce n’est jamais pompeux, toujours subtilement élaboré, un brin moqueur voire légèrement autocritique.
« Tous les hommes sont menteurs » illustre parfaitement cette tendance tout en se situant volontairement à la croisée de trois chemins : l’intrigue policière, le récit journalistique et la réflexion sur le métier et la fonction d’écrire. Sacrifiant à une tendance de plus en plus forte depuis quelques années, le récit emprunte également une sorte de psalmodie dans laquelle plusieurs personnes (un ami qui se dit très proche, son épouse, son compagnon de cellule au pire moment de la dictature militaire argentine, son éditeur et enfin, celui qui sait tout sur sa mort) vont tenter d’expliquer à un certain Terradillos, journaliste de son état, qui était Alejandro Belivacqua que l’on vient de retrouver mort, le crâne fracassé sur un trottoir.
Bien évidemment, comme dans la vie réelle, chacun des épistoliers a une vision bien trempée du personnage, vision qui présente plus de disjonctions que d’intersections avec celle donnée par le ou les précédents narrateurs.
A la façon d’une enquête policière qui vise à tracer le profil psychologique de la victime pour trouver qui aurait pu lui vouloir du mal au point de le tuer, nous allons naviguer dans le temps et découvrir le personnage terne de Belavicqua. Un homme ordinaire, commetteur de romans-photo populaires, balloté par l’Histoire, victime collatérale de la junte militaire, expulsé malgré lui en Espagne, victime de ses passions amoureuses et auteur apocryphe putatif d’un mystérieux roman qui devint un best-seller dès sa parution.
Comment un tel livre peut-il être l’œuvre d’un personnage si terne ? Quels sont les ressorts de la création littéraire ? Qui est vraiment l’auteur de ce livre ? Qu’est-ce qui fait le succès littéraire ? Ce sont autant de questions que Manguel, qui se met en scène lui-même jusqu’à donner son identité même à l’un des narrateurs, traite avec délectation et brio dans ce petit opuscule.
On savoure la prouesse sans toutefois être emporté par un récit dont l’issue était largement prédictible. C’est ce qui en fait la limite.
Publié aux Editions Actes Sud – 2009 – 200 pages