Si vous ne connaissez pas Jean-Paul Dubois, prolifique auteur contemporain, alors voici une occasion de le découvrir sans hésiter.
Ce roman féroce, noir, aussi sombre que les hommes qui se déplacent sur la neige immaculée du grand Nord canadien où le livre se déroule, est une pure réjouissance. On est immédiatement happés par le désespoir qui habite ces deux hommes qui s’ignorent et qui vont se découvrir, simplement parce qu’ils ont aimé la même femme.
Paul Hasselblank vit à Toulouse. Il est gravement malade, condamné et survit dans l’attente fatale à coups de piqûres et de médicaments de plus en plus puissants. Avant de mourir et pendant qu’il le peut encore, physiquement parlant, il veut comprendre pourquoi sa femme l’a quitté et ce qu’elle est devenue. Pour cela, il ne dispose que de très peu d’indices, une courte lettre postée d’un coin paumé du fin fond du Canada.
Arrivé sur place, il se confronte à une succession d’inconnues. Comment apprivoiser le froid, comment conduire sur la neige avec une Buick aussi traître que la pellicule de glace qui recouvre la chaussée. Comment comprendre les us et coutumes de ce coin si reculé où l’attraction locale consiste à se faire battre quasiment à mort des hommes entre eux, à mains nues, en laissant hurler une horde de fous furieux abrutis d’alcool, d’ennui et de haine et qui a parié sa paye sur l’improbable vainqueur de ce combat d’un autre temps.
Paul va croiser une galerie de personnages extraordinairement pittoresques. Un hôtelier d’origine indienne qui ne croit plus en l’humanité et qui ne cesse de pleurer le temps passé, celui du respect d’autrui et des choses, celui d’un hôtel qui avait de la classe. Un regret qui le conduit à n’avoir plus foi en l’humanité, à se réfugier dans d’improbables et inutiles travaux d’un bâtiment qui se délite puis à tomber sous le charme du Français, tout simplement parce qu’il se comporte en humain responsable.
Paul va également rencontrer un naturaliste pervers, hautain et qui prend un malin plaisir à jouer avec lui, à le traîner sur un chemin d’épreuves pour lui concéder le nom de l’homme chez qui la femme de Paul a fui avant de disparaître.
Floyd Paterson est ce deuxième homme, celui qui a pris sa femme ou plutôt que sa femme a choisi. Mais elle est partie, a subitement disparu sans laisser de traces.
Floyd est un rustre solitaire, une force de la nature qui vit avec une tare. Il a subi la greffe d’un cœur d’un meurtrier d’enfant, il vit grâce à la mort d’un homme qui donnait lui-même la mort. Et Floyd vit bien dans sa cabane en solides rondins. Il passe son temps à pêcher et chasser en tuant ses proies à l’arc à poulie. Que fuit-il en vivant en solitaire, se nourrissant de la chair de ses proies ?
De là, une histoire va se tisser entre ces deux hommes qu’une femme relie. Une histoire qu’un blizzard apocalyptique va accélérer, dramatiser à l’excès.
Une histoire pour permettre à Paul de comprendre qui il est, d’évacuer ses démons. Une histoire pour découvrir aussi ce qu’est devenue sa femme. Une histoire pour permettre à Floyd de s’accepter, de faire la paix avec sa famille, de trouver un goût de vivre à deux.
Le livre emprunte tour à tour des chemins surprenants et nous mène de surprise en surprise. On entre dedans de plein pied et on est immédiatement captivés par l’atmosphère lourde qui s’impose immédiatement. Chaque personnage, même secondaire, est un petit chef-d’œuvre d’humanité déliquescente.
Peu à peu, le livre prend un tour policier et psychologique, de plus en plus singulier. Hanté par « Aguirre ou la colère de Dieu », Paul observe Floyd manier des flèches qui tuent avec un côté sublime des proies surprises dans leur émotion la plus totale. Mais quelles flèches le destin réserve-t-il à son tour à ces « Hommes entre eux » ?
Rendez-vous page 232 vers une fin inattendue et extraordinaire.
Bref, foncez lire ce superbe roman !
Publié aux Editions de l’Olivier – 232 pages