Au fil de ses publications, que nous suivons avec attention sur Cetalir, Olivier Adam semble bien s’être fait une spécialité qui consiste à mettre en scène, de façon sensible, presque à vif, la douleur de celles et ceux qui vivent en marge, dans la solitude, volontaire ou subie, l’exclusion ou la réclusion pris au piège des brisures que la vie engendre.
« Le cœur régulier » n’échappe pas à cette tradition, bien au contraire tant l’écriture s’y est magnifiée, gagnant en plénitude, en profondeur littéraire comme c’est particulièrement le cas dans le premier tiers du roman beaucoup plus écrit que les précédents.
Ici, Sarah semble bien au moment essentiel de sa vie, celui auquel tout peut basculer dans une direction tragique ou rédemptrice. Voici quatre mois que son frère Nathan, avec lequel elle a entretenu pendant longtemps une relation fusionnelle, est mort dans un accident de voiture. Accident ou suicide ? Cette question la taraude d’autant que ses relations avec ce frère alcoolique et dépressif, excessif et cyclothymique, s’étaient particulièrement distendues depuis quelque temps.
Aussi décide-t-elle de tout plaquer, abandonnant un métier qui la mine, des collègues qu’elle méprise, un mari parfait mais qui ne la touche plus depuis des années, des enfants dans lesquels elle ne se reconnaît plus. Elle part pour le Japon dans un périple qui va la mener jusqu’à une bourgade au bord de la mer, à l’aplomb des falaises d’où viennent se précipiter à longueur d’années des dizaines de Japonais qui n’en peuvent plus de la vie. Un lieu sous la garde d’un énigmatique retraité, ancien commissaire de police, célèbre dans le monde entier pour sa capacité à convaincre in extremis des désespérés de ne pas passer à l’acte et les recueillant dans une maison simple où ils viennent se reconstruire. C’est ici que Nathan avait séjourné, peu de temps avant sa mort. C’est de là qu’il était revenu apparemment transformé, plein d’une énergie nouvelle à peine croyable.
Une fois sur place, Sarah qui observe ce qui se passe autour d’elle avec l’étrangeté que procure inévitablement le fait de côtoyer un monde dont on ne connaît ni les codes ni la langue, va se livrer à une féroce introspection et tenter de comprendre ce qui a bien pu se passer pour son frère comme pour elle.
Olivier Adam mène alors un travail d’orfèvre sur le deuil, sur la culpabilité et la jalousie, la duplicité dans laquelle on peut tomber malgré soi quand on refuse de voir le monde tel qu’il est. Car, plus Sarah descendra en elle, plus elle comprendra ses erreurs, plus elle découvrira que la relation qu’elle croyait exclusive avec son frère ne l’était que pour elle et que d’autres femmes en partageaient les droits avec au moins la même intensité.
De façon presque glaçante, nous observons la lente chute de cette femme qui s’est laissée piéger par la vie et par elle-même jusqu’à ce qu’un détail, un geste, un mot, une scène lui donnent la force de repartir de l’avant et de se reconstruire autrement en évitant les écueils d’une première existence où elle s’est fourvoyée à son propre insu.
Le roman est à l’image de cette rentrée littéraire : sombre, lourd, noir mais malgré tout magnifique, illustration d’une société en plein doute, d’hommes et de femmes en manque de repères et encore incapables d’envisager un futur meilleur.
Publié aux Editions de l’Olivier – 2010 – 232 pages