Nous sommes aux Etats-Unis, plus précisément en Géorgie, cet Etat du Sud américain profond qu’affectionne si particulièrement H. Crews, lui-même natif de Géorgie.
Pour nous dépeindre les outrances de la société américaine, Crews imagine une famille un peu marginale. Le père, la fille et deux frères jumeaux tiennent la plus grande casse automobile de l’Etat. Un métier choisi par une vocation viscérale qui les lie à l’amour absolu, total, définitif de tout ce qui comporte au moins quatre roues et un gros moteur.
C’est en poètes qu’ils vont chercher les voitures accidentées et en rêveurs qu’ils les désossent et les réduisent à l’état de petits cubes destinés à être refondus. C’est avce le souci de réconforter qu’ils laissent les parents des victimes se recueillir sur la carcasse du véhicule d’un cher disparu.
C’est bien simple, le moindre geste de leur vie quotidienne les lie absolument à l’automobile. Même l’amour ne peut s’envisager que dans une voiture. Les scènes imaginées par Crews sur les lieux d’accidents terrifiants jonchés de victimes éventrées, décapitées ou tordues sont à ce titre hallucinantes.
Parée d’un fiancé officieux membre de la patrouille d’élite de l’autoroute, la jeune femme de la bande se laisse caresser et embrasser dans la puissante voiture de son flic timoré et éperdu. L’extase ne peut survenir que si elle est stimulée par un environnement cataclysmique entretenu par des propos qui mettent en avant les innombrables vertus de la voiture très spéciale du policier. Terrifiant et extraordinairement percutant au plan littéraire.
Dès lors, le fait que l’un des frères jumeaux décide de se faire connaître en mangeant une Ford Maverick flambant neuve n’aura rien d’étonnant.
A partir de là, H. Crews s’en donne à cœur joie et nous entraine dans une délicieuse comédie dramatique qui démonte les travers les plus insupportables de la société américaine.
La volonté envers et contre tout de s’enrichir, par tous les moyens, l’hyper-médiatisation du moindre événement qui sorte un tant soit peu de l’ordinaire, l’hypocrisie sexuelle, l’extrêmisme religieux sont autant de cibles férocement attaquées par un écrivain particulièrement en verve.
D’ailleurs, le roman lui-même emprunte les caractéristiques des shows à l’américaine. Procédés hyperboliques visant à dramatiser le moindre geste, volonté de prouver contre toute logique, féroce volonté de réussir, médiatisation permanente avec mise en scène pointilleuse de scènes vénérées par un public enragé sont autant de phénomènes mis en avant, course à l’enrichissement par tous les moyens possibles sont ainsi méthodiquement décortiqués.
Le tout en se moquant cruellement d’une société où la voiture tient souvent une part démesurément importante : trop grande, trop vorace, trop chère mais indispensable, intrinsèque à la vie sociale de tout Américain. Une voiture tellement désirée qu’elle en vient à presque tenir le rôle d’un membre de la famille et à dévorer son propriétaire inféodé.
On se réjouit à la lecture de ce pamphlet jouissif et excessif et on en redemanderait bien !
Vivement recommandé par Cetalir.
Publié aux Editions Gallimard – 207 pages