Couronné par un Prix Femina en 1996, « Week-end de chasse à la mère » est un roman qu’il fait bon de ressortir des rayonnages.
G. Brisac a su manier à la perfection un style à la fois réfléchi, impertinent et souvent décalé pour décrire les affres de la solitude, la tentation qui existe pour les artistes, ceux, comme elle dit si bien, qui détiennent un « gène d’irréalité » après une épreuve, à s’isoler du monde réel, à voir ce qui n’existe pas aux yeux du reste du monde.
En alternant situations cocasses, expressions étonnantes de vérité placées dans la bouche d’un petit enfant subtil et qui vit sous l’emprise de sa mère, et réflexions profondes sur la faculté dont nous disposons à user de notre libre arbitre, l’auteur a su éviter le piège d’un roman qui aurait pu être désespéré.
Au contraire, il existe une spontanéité réjouissante, une dose d’impertinence dans l’observation de ce couple inhabituel (l’est-il vraiment au fond ?) que forme cette femme encore jeune et son jeune fils. La vérité sortant de la bouche des enfants, les propos d’Eugenio, le jeune garçon, donnent à sa mère, Nouk, à se voir telle qu’elle apparaît au monde. L’image d’une femme qui, pour contenir le manque d’un homme à aimer et compenser un divorce douloureux et incompris, déborde d’amour pour son fils, jusqu’à l’étouffer. L’image d’une femme qui se ferme aux autres et qui a le don pour tourner en catastrophe la moindre situation. L’image d’une mère présente physiquement et absente psychologiquement, fragile, prête à s’effondrer.
C’est aussi un petit monde à part, avec ses propres règles drôles, imaginatives et parfois violentes que nous appréhendons au fil des pages.
Nouk et Eugenio vivent dans un petit appartement parisien pudiquement décoré de lourds rideaux rouges. Nous sommes à quelques heures de Noël et Nouk n’a rien préparé : ni cadeaux, ni sapin, ni repas. Tout juste si Nouk a réalisé que c’était Noël enfermée qu’elle est dans ses propres problèmes, sans doute encore hantée d’un amour disparu et des tableaux qu’elle peignait et qui s’arrachaient une fortune avant qu’elle ne décide, brutalement, sans explication de ranger ses pinceaux.
Cet appartement renferme la difficulté même à savoir aimer sans arrière-pensée, sans danger, par le simple don de soi. D’ailleurs, le couple d’oiseaux, un mâle et une femelle, acheté sur la demande insistante d’Eugenio comme cadeau de Noël et immédiatement prénommé Adam et Eve, va lui-même illustrer ce drame de l’incompréhension, de l’impossibilité à partager à travers un quiproquo particulièrement amusant. Le cadeau, symbole de plaisir, deviendra, par un horrible malentendu, l’évidence du malheur, l’illustration que, décidément, Nouk est vouée à tout rater.
Heureusement, il y a Marthe, la marraine d’Eugenio, l’amie d’enfance de Nouk. C’est elle qui ramène, contre sa volonté, Nouk aux principes de réalité, qui la prend en main pour faire en sorte qu’elle existe par et pour elle-même en réapprenant à s’ouvrir au monde, à en voir la beauté et les opportunités. Marthe s’assume totalement. Lassée d’un mari routinier, elle redécouvre le plaisir des sens en s’adonnant à d’héroïques parties de jambes en l’air avec son amant et n’omet aucun détail à Nouk, cherchant ainsi à l’amener à en faire de même.
Autour de ce trio, le roman sera traversé de personnages drôles, bien trempés et qui donnent une luminosité, un rayon d’espoir à cette femme en souffrance, perdue, déroutée.
Il en ressort un roman articulé autour de toutes les nuances possibles de gris, fulguré de traits colorés et vivants, un livre douloureux mais surtout, une vraie perle à découvrir absolument.
Publié aux Editions de l’Olivier – 205 PAGES