Dix jours que le livre me nargue, relégué à la gauche de mon écran, en attente de la note de lecture. Dix jours que je m’interroge sur ce que m’a véritablement inspiré ce premier roman d’un auteur, par ailleurs galeriste et né en 1965.
Le premier mot qui vient à l’esprit, quelque temps plus tard, est étrangeté, suivi de malaise. Oui, ce livre inspire du dérangement, il interpelle par la confusion que la passion amoureuse dévorante, envahissante inspire au personnage central.
Bruno Stepfer a décidé de se confesser pour se libérer d’une femme, Judith, rencontrée par hasard lors d’un congrès littéraire à Las Vegas.
Bruno est un personnage complexe, profondément tourmenté, velléitaire et qui n’a que peu de prise sur les évènements. Il se laisse facilement emporter par les autres et vit une vie en rêve permanent, en idéalisant ce qu’elle devrait être. De ce fait, il est presque toujours en décalage avec lui-même et sa façon d’être au monde.
Bruno, qui travaille pour une maison d’édition de livres scientifiques et s’est spécialisé sur les poissons rares, vit à Paris avec Margot, une collègue de travail. Margot est froide mais protectrice. Malgré de multiples tentatives, ils ne parviennent jamais à faire l’amour ce dont Bruno souffre.
Alors lorsqu’il rencontre Judith, femme fatale, libre, ouverte et demandeuse, le barrage du refoulement cède et entraine Bruno dans un mode qu’il a espéré. Mais comme Judith vit à New-York, le retour sur Paris est terrible car il faut affronter Margot tout en rêvant en permanence de Judith.
Bruno étant incapable de choisir, il doit vivre deux vies à la fois, radicalement différentes, avec deux femmes que tout oppose.
C’est à la dissociation de la personnalité de Bruno que l’auteur va finalement s’attacher et la description minutieuse d’une perte de tout repère, d’une descente au tréfonds d’une dépression grave est particulièrement réussie.
Par l’incohérence de ses choix dictée par l’incapacité à prendre des décisions, Bruno se perd lui-même et s’enfonce dans une vision onirique et impossible d’une vie idéalisée.
Le recours aux flash-backs, l’utilisation massive de passages brutaux d’une côte à l’autre de l’Atlantique où l’attendent deux vies contribuent habilement à perturber le lecteur en lui faisant ressentir un peu de ce dont Bruno souffre.
Pourtant, il manque un certain allant pour faire de ce livre une incontestable réussite. Une plus grande concision aurait sans doute largement contribué à acérer le récit, à le rendre encore plus poignant.
Mention assez-bien, donc…
Publié aux Editions Actes Sud – 295 pages