Il faut voir le dernier roman de Philippe
Jaenada, l’un des romanciers actuels les plus déjantés, comme une suite à
distance de « Plage de
Manaccora, 16H30 » (voir notre post). On y retrouve le trio qui faillit
périr asphyxié et carbonisé dans l’incendie qui ravagea leur lieu de vacances
quelque temps plus tôt. Revenus à Paris, Bix (le double de Jaenada), sa femme
(toujours aussi fragile psychologiquement et envahie de tocs) et son fils
vivent une vie sans trop de relief. Bix continue de vaguement publier et son
dernier roman va recevoir d’ailleurs un prix de seconde zone des mains de
Jacques Toubon dans une séquence qui compte parmi les meilleurs moments du
bouquin. Il complète les maigres rentrées pécuniaires par un travail de
journaliste à Voici et s’occupe surtout à plein temps de son fils sous le
diktat inconditionnel de son épouse. Jusqu’au jour où, traité de
« Connard » dans un des moments d’hypocondrie de sa moitié, il claque
la porte et part pour un tour de France improbable.
Retour aux beuveries avec les potes dans les
bars qu’il avait délaissés à regret. Toujours plus d’alcool entrainant toujours
plus de soif, Bix finira par vite perdre ses repères et noyer son spleen et sa
vie de raté dans un delirium alcoolisé où rêves et mythes, espoirs déçus et
vaguement entrevus vont finir par l’isoler du monde et le projeter dans une
quête vouée à l’échec.
Car Bix aura rencontré une jeune femme aussi
folle que lui, incroyablement attirante, presque aimée un soir et perdue le
lendemain. Il lui faudra la retrouver à tout prix pour la baiser car, de cela
aussi, son épouse tyrannique le prive. Il ne s’agit pas d’amour, juste de sexe
avant de revenir au bercail et de se faire pardonner.
« La femme et l’ours » peut se
concevoir comme une sorte de synthèse de l’ensemble de l’œuvre de Jaenada,
comme une dissertation éthylique sur son univers romanesque campé chez les
paumés, les exclus, où les femmes sont faciles mais perfides, les hommes
faibles et soûlards. Un monde où l’alcool efface la misère et engendre de la
fraternité.
Mais c’est aussi le roman le plus faible de l’auteur,
précisément parce qu’il hésite entre différentes pistes, tantôt prolongation de
ce qui le hante, tantôt fable, tantôt confession intime sur des chapitres de sa
vie restés jusqu’ici cachés (sa réclusion volontaire dans son appartement à l’âge
de vingt-cinq ans pour vivre une expérience forte qui lui fit découvrir sa
vocation d’auteur). Roman le plus faible aussi car il faut longtemps, trop
longtemps, pour commencer de comprendre là où Jaenada veut nous mener tant la
trame part dans tous les sens et le récit manque de souffle au moins dans le
premier tiers.
Autant l’avant-dernier opus avait marqué un
salutaire renouvellement, autant le dernier nous laisse dubitatif. Ce n’est pas
franchement raté car il y a la force des images inattendues et, tantôt, l’auteur
déclenche un trait fourbe et plein d’humour. Mais le roman ne décolle jamais
vraiment à l’inverse de tout ce que Jaenada a pu produire jusqu’ici. C’est
juste dommage.
Publié aux Editions Grasset – 2011 -311 pages