Tout amateur de littérature décalée,
délicieusement subtile et intelligente, drôle et moqueuse ne pourra que se
réjouir en lisant ce roman de science fiction romanesque à part dans la
production littéraire.
Il faut dire que J. Lethem frappe un grand
coup et en profite pour épingler les corporatismes dans les campus
universitaires américains, l’hyper-spécialisation qui entraine la
verticalisation des recherches, le mépris de l’interdisciplinarité, le recours
à un verbiage ésotérique et découpeur de cheveux en quatre. Le tout avec brio
et au profit d’une histoire décapante d’intelligence et d’imagination.
Nous sommes quelque part aux Etats-Unis dans
l’une de ces riantes et proprettes universités privées et hors de prix. Un
couple de professeurs émérites vit jusque là un amour sincère et profond.
Lui, Philipp, est précisément enseignant en
interdisciplinarité, spécialiste en méthodologie. C’est une sorte d’esthète, de
contemplateur poète de ses collègues aux disciplines ardues, de philosophe
social de la Physique à laquelle il ne pige pas grand chose.
Elle, Alice, est l’assistante d’un ex Prix
Nobel en Physique. C’est une rationnelle, une spécialiste de la mise en
équation, une intelligence pure qui cache une réelle sensibilité.Tout ce bel équilibre va voler en éclats parce
qu’Alice et son équipe viennent de réussir à créer un univers physique de petite taille, en
laboratoire, dénommé « Lac », contraction de la lacune. Une lacune car
aucun modèle physique, mathématique ou rationnel ne permet d’expliquer ce monde
parallèle qui résiste à toute exploration.
Un univers qui rapidement va prendre un côté
magique offrant une pseudo-rationalité que les disciplines les plus arides du
campus et du monde vont tenter d’interpréter en se livrant un féroce et vain
combat. Un univers à la Lewis Caroll, qui avale sans les restituer des objets
hétéroclites, rejette inflexiblement d’autres. Un univers qui affiche des
préférences que personne n’arrive à décoder.
Un univers surtout dont Alice va tomber
amoureuse, au sens premier du terme et qui va la faire basculer de la pure
rationalité à une approche irrationnelle, dictée par le seul désir de se faire
aimer par cette création de l’esprit jusqu’à tenter de s’y faire avaler, de se
mutiler pour lui.
A partir de là, notre auteur va s’en donner à
cœur joie. Les petites mesquineries du corps enseignant, les jalousies bien
cachées derrière d’affables façades, la ségrégation hiérarchique selon un code
caché de l’importance des disciplines vont se faire gentiment et drolatiquement
vitrioler.
Mais le tour de force de l’auteur consiste à
nous faire tomber dans un suspense haletant où un couple d’aveugles, genre Men
in Black, qui se sont créés un monde et un vocabulaire parallèles et se sont
enfermés dans une logique d’accouplement obsessionnelle, contribue à entretenir
la bizarrerie comique. Un couple objet d’étude et de fantasmes de la part d’une
psychologue mythomane.
Chaque page est un régal, chaque personnage
une absolue réussite. Vous l’aurez compris, nous avons été emballés. Alors,
vous savez ce qu’il vous reste à faire pour découvrir le secret de Lac…
Publié aux Editions de l’Olivier – 249 pages