2.3.12

Alice est montée sur la table – Jonathan Lethem



Tout amateur de littérature décalée, délicieusement subtile et intelligente, drôle et moqueuse ne pourra que se réjouir en lisant ce roman de science fiction romanesque à part dans la production littéraire.

Il faut dire que J. Lethem frappe un grand coup et en profite pour épingler les corporatismes dans les campus universitaires américains, l’hyper-spécialisation qui entraine la verticalisation des recherches, le mépris de l’interdisciplinarité, le recours à un verbiage ésotérique et découpeur de cheveux en quatre. Le tout avec brio et au profit d’une histoire décapante d’intelligence et d’imagination.

Nous sommes quelque part aux Etats-Unis dans l’une de ces riantes et proprettes universités privées et hors de prix. Un couple de professeurs émérites vit jusque là un amour sincère et profond.
Lui, Philipp, est précisément enseignant en interdisciplinarité, spécialiste en méthodologie. C’est une sorte d’esthète, de contemplateur poète de ses collègues aux disciplines ardues, de philosophe social de la Physique à laquelle il ne pige pas grand chose.

Elle, Alice, est l’assistante d’un ex Prix Nobel en Physique. C’est une rationnelle, une spécialiste de la mise en équation, une intelligence pure qui cache une réelle sensibilité.Tout ce bel équilibre va voler en éclats parce qu’Alice et son équipe viennent de réussir  à créer un univers physique de petite taille, en laboratoire, dénommé « Lac », contraction de la lacune. Une lacune car aucun modèle physique, mathématique ou rationnel ne permet d’expliquer ce monde parallèle qui résiste à toute exploration.
Un univers qui rapidement va prendre un côté magique offrant une pseudo-rationalité que les disciplines les plus arides du campus et du monde vont tenter d’interpréter en se livrant un féroce et vain combat. Un univers à la Lewis Caroll, qui avale sans les restituer des objets hétéroclites, rejette inflexiblement d’autres. Un univers qui affiche des préférences que personne n’arrive à décoder.

Un univers surtout dont Alice va tomber amoureuse, au sens premier du terme et qui va la faire basculer de la pure rationalité à une approche irrationnelle, dictée par le seul désir de se faire aimer par cette création de l’esprit jusqu’à tenter de s’y faire avaler, de se mutiler pour lui.

A partir de là, notre auteur va s’en donner à cœur joie. Les petites mesquineries du corps enseignant, les jalousies bien cachées derrière d’affables façades, la ségrégation hiérarchique selon un code caché de l’importance des disciplines vont se faire gentiment et drolatiquement vitrioler.

Mais le tour de force de l’auteur consiste à nous faire tomber dans un suspense haletant où un couple d’aveugles, genre Men in Black, qui se sont créés un monde et un vocabulaire parallèles et se sont enfermés dans une logique d’accouplement obsessionnelle, contribue à entretenir la bizarrerie comique. Un couple objet d’étude et de fantasmes de la part d’une psychologue mythomane.

Chaque page est un régal, chaque personnage une absolue réussite. Vous l’aurez compris, nous avons été emballés. Alors, vous savez ce qu’il vous reste à faire pour découvrir le secret de Lac…

Publié aux Editions de l’Olivier – 249 pages