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30.3.12
Putain - Nelly arcan
Nelly Arcan (de son vrai nom Isabelle Fortier), jusque là parfaite inconnue, avait fait sensation avec « Putain », le premier livre d’une série de trois où elle révélait de façon à la fois crue et extrêmement originale ce qui pouvait bien pousser une jeune femme, intelligente, belle et désirable à devenir une escort girl accueillant huit clients par jour.
Ce que nous comprenons d’emblée, c’est que Nelly est assaillie de pulsions suicidaires. Sans cesse, elle fait référence à ce désir plus ou moins explicite d’en finir d’une vie qu’elle ne supporte plus pour des raisons que nous allons ici tenter de démêler. Elle y annonce même, de façon prémonitoire, comment elle compte en finir et c’est effectivement en se pendant sordidement qu’elle se suicidera en 2009. D’ailleurs, il est révélateur de noter que le mot qui achève ce récit au vitriol est celui de « mort », suivi d’un point final. Un choix qui n’est certainement pas innocent et qui ne faisait que crier, ultimement, de façon poignante, que seule la fuite, de préférence violente et brutale, d’une vie globalement insupportable pouvait signer la fin d’une souffrance inconsolable.
Nelly exprime dans ce récit autobiographique une multitude de sources de son mal-être. Certes, il faut les extraire d’une cohorte de longues phrases parfois quasi-hallucinées, usant d’une langue obsessionnelle à la fois poétique et sordide. Mais, si nous l’écoutons bien, elle nous dit tout ce qu’elle a besoin d’exprimer et qu’elle n’a jamais su ou pu verbaliser jusqu’ici.
Sa haine de ses parents avant tout. Haine d’une mère devenue légume, clouée au lit depuis des années, recluse dans la dépression et la dévalorisation de soi. Cela en réponse à l’incapacité à savoir séduire son mari, à rester désirable, seul sens possible semble nous dire Nelly Arcan pour une femme au foyer de cette génération. Haine d’une mère qui a renoncé à exister pour elle-même. Haine d’une mère qui n’a jamais fait le deuil d’une première fille, Cynthia, devenue plus ou moins explicitement le point de référence d’une destinée rêvée, idéale au regard de laquelle Isabelle/Nelly est sans cesse comparée. Il est d’ailleurs révélateur que Nelly choisira de s’appeler Cynthia pour exercer son métier de prostituée de luxe.
Haine d’un père qui aurait pu avoir le désir du corps plus jeune de sa fille et qu’elle a fui par peur d’être attirée par lui. A tel point qu’elle semble guetter, espérer et redouter à la fois l’arrivée de ce père comme l’un de ses clients. Car, lui aussi, toujours en déplacement, multiplie les conquêtes féminines et recourt, probablement, aux services tarifés de jeunes femmes accortes et autrement plus désirables qu’une épouse qui se nécrose. Ce qui n’empêchera pas le père de s’abriter derrière une morale et une série d’interdits religieux !
Violence envers son psychiatre qui l’écoute sans jamais la questionner ou la guider, qui la laisse seule à se débrouiller. Peur d’être désirable pour ce praticien au point qu’elle en espère que lui aussi la prendra puisqu’elle est prenable par « des milliers de queues » devenues indifférenciées, universelles.
Haine des hommes qui la traitent comme jamais ils n’envisageraient de traiter leurs épouses et qui, en la sodomisant, en éjaculant sur son visage, ou la forçant à une homosexualité féminine ou à prendre des poses indécentes lui font subir ce qu’ils avouent eux-mêmes qu’ils ne voudraient pour rien au monde que leurs filles, du même âge, subissent.
Désamour d’elle-même depuis l’enfance. Elle qui s’est toujours vue la plus petite, la plus moche, la moins désirable et qui, en choisissant ce métier, tente de se tromper elle-même sur le désir qu’elle sait pouvoir susciter.
De tout cela ne peut résulter qu’un désastre dont nous connaissons l’issue, un suicide à trente-six ans, parce ce qu’elle n’en pouvait plus de ne plus se croire désirable pour ce qu’elle n’était de toute façon pas.
Un livre en forme de long cri obsessionnel au secours, un livre violent, au vitriol !
Edité aux Editions Seuil – 2002 – 186 pages