Jonathan Coe n’a
pas son pareil pour décrire avec un brin de gentille désespérance, une
imagination fertile et sans cesse renouvelée et un humour décapant les mille et
un travers de notre société moderne. Car, sous couvert d’ouverture et d’hyper-connectivité
à un monde rendu toujours plus immédiatement accessible jusque pour le plus
superflu, se cache en fait souvent une triste solitude, un souci d’exister
virtuellement quand sa vie sociale s’appauvrit à l’extrême.
C’est en tous cas
l’essence même du dernier roman superbe et magistral de Jonathan Coe. Mr Sim
est l’archétype de l’anti-héros. Quinquagénaire, il a caché jusqu’ici la
médiocrité de son existence dans un emploi de chef du service maintenance d’un
grand magasin londonien. Mais voilà, depuis que sa femme l’a quitté, emportant
avec elle leur fille unique, Mr Sim a sombré dans une dépression de plus en
plus noire. Bien qu’il collectionne les amis sur Facebook, il n’en connaît en
fait pas un seul et ses relations sociales sont au plus bas. En arrêt maladie
depuis des mois, il s’enfonce dans un spleen dont l’issue semble bien sombre.
Jusqu’à ce qu’un
vieil ami d’enfance, avec lequel il a maintenu d’épisodiques relations, lui
propose de rejoindre une petite société qui a eu l’idée révolutionnaire de
créer une brosse à dents écologique, à manche en bois et tête détachable et
changeable. Parce qu’il ne se sent pas de revenir à son emploi précédent qui
lui rappellerait trop sa vie antérieure et irrémédiablement perdue, il accepte.
Le voici, à peine préparé, sur les routes de l’Angleterre en route vers la
pointe nord extrême du pays. Sa mission, aller proposer la brosse à dents à un
détaillant isolé préalablement identifié et faire des vidéos sur la route
relatant son expédition.
Sauf que Mr Sim
prend des chemins de traverse. Il faut dire que la voix féminine du GPS est si
agréable. Une voix tellement neutre, tellement exempte de reproches qu’il finit
par tomber amoureux de son GPS devenu Emma. Alors Ema l’emmène vers celles et
ceux qu’il n’a pas revus depuis longtemps, à la recherche à la fois de son passé
et de son père avec lequel il entretient de houleuses relations. Du coup, le
but professionnel du voyage s’éloigne au fur et à mesure que le temps tourne.
En général, celui
qui entreprend un tel périple est censé ressortir grandi, détenant des réponses
à ses questions. Pas pour Mr Sim dont chaque RV le plonge encore plus dans le
désarroi, dans la honte de soi, dans la dévalorisation, le poussant toujours
plus vers une dépression aggravée.
Notre antihéros
finira bien par apprendre beaucoup de choses sur lui-même et sur ce père,
figure divine inaccessible et terrifiante, une fois qu’il aura entrepris un
nouveau voyage, mieux armé, vers l’Australie cette fois où réside son père. Non sans connaître de nouvelles mésaventures.
Sans parler d’une fin surprenante en forme de clin d’œil qui vaut son pesant d’or.
On ne sait trop
si ce qui fascine le plus dans ce roman est son originalité, sa surabondance de
situations décalées et absurdes qui nous enfonce dans un humour de plus en plus
second degré et glauque, mais parfaitement réussi ; ou bien, la maestria
avec laquelle Coe nous fait voyager à travers le temps pour mettre en vis-à-vis
les points de vue des protagonistes sur des scènes qui se sont déroulées des
décennies plus tôt mais qui auront été déterminantes pour comprendre le présent.
Il y a, comme
toujours chez l’auteur, une profonde tendresse pour ses personnages, surtout si
ce sont des losers patentés, des abîmés de la vie. Il en résulte un récit entre
nostalgie et humour, un des meilleurs romans de ce grand homme de lettres qu’est
Jonathan Coe.
Publié aux
Editions Gallimard – 2011 – 464 pages