Publiée en 1991, « De beaux lendemains » est une
œuvre majeure de R. Banks, écrivain américain qui compte parmi les auteurs que
nous aimons particulièrement sur Cetalir.
Le titre est volontairement trompeur. En effet, comme
toujours dans l’œuvre de Banks, nous sommes dans les profondeurs de l’âme
humaine, dans la noirceur qui vous précipite vers les abîmes de jalousie, de
rancœur, de vengeance plus ou moins explicites. R. Banks excelle dans ce style
et dans sa capacité à se mettre véritablement dans la peau des personnages
auxquels il confère une profondeur, une finesse tout à fait extraordinaires.
Les beaux lendemains sont ceux un moment rêvés mais que la réalité cruelle ou
les jeux personnels auront tôt fait de les mettre à mal. Chez Banks, la vie
n’est jamais un long fleuve tranquille. C’est tout au contraire un redoutable
parcours semé de multiples embuches, de chagrin, de douleurs, d’accidents qui
vous poussent systématiquement du mauvais côté de la barrière.
Dans ce roman, c’est la vie bouleversée par un fatal
accident qui est considérée. L’intérêt et la puissance du livre tiennent au
fait qu’un même événement est considéré par quatre protagonistes différents et
aux intérêts antagonistes. C’est ce qui peut être fait d’une réalité objective
lorsqu’elle devient un enjeu de pouvoir, d’argent, de règlement de comptes qui
est au centre de cet ouvrage remarquable.
Jusque là, la petite ville de Sam Dent perdue dans l’Etat de
New York, isolée du monde aux portes du parc national des Adirondacks, habituée
à survivre à des hivers redoutablement rigoureux (un thème récurrent chez
l’auteur), menait une vie tranquille. Certes, la population locale ne roule pas
sur l’or et tire plutôt le diable par la queue. Mais l’esprit communautaire y a
maintenu l’indispensable cohésion sociale, l’entraide étant un art de vivre.
Un accident de car scolaire conduit par la respectée Dolores
Driscol, épouse loyale d’un homme cloué sur une chaise roulante après un
accident cardio-vasculaire, va tout remettre en cause. La plupart des enfants
présents dans le car vont mourir et la question de la recherche de
responsabilité et des dédommagements financiers va devenir centrale, entretenue
par une horde d’avocats qui joue les familles les unes contre les autres et
s’en prennent aux services publics. Le récit de ce qui s’est passé, la
recherche des causes est abordée au travers de quatre personnages centraux,
directement ou indirectement concernés par l’affaire.
Dolores est une femme remarquable, dévouée, aimante et
respectée de tous. Elle sera l’une des rares rescapées de cet accident fatal.
Sa vie s’en trouvera à jamais brisée, ses points de repère balayés, sa relation
à la communauté remise en cause. Quelle est donc sa véritable responsabilité
dans cette terrible affaire ?
Billy Ansel est l’homme le plus respecté de la ville. Ancien
officier au Vietnam, veuf de la plus jolie femme de la ville, il élève seul ses
deux enfants tout en se consacrant à son garage dans lequel il emploie
essentiellement des garçons paumés par l’expérience traumatisante de la guerre
contre les Viets. Il suivait le car au moment de l’accident et accompagnait
comme d’habitude ses enfants qui ont tous deux péri. Pour qui prendra-t-il parti ?
Comment surmonter une telle épreuve et continuer à mener une vie normale ?
Mitchell Stephens est un as du barreau. Un gars en colère,
décidé à faire payer les responsables. C’est lui qui va convaincre quelques
familles endeuillées à mener une action en justice. Pour cela, il a besoin du
témoignage capital de Nicole et devra surmonter les tensions qui agitent la
ville.
Nicole Burnell est une belle adolescente de quatorze ans,
l’idole féminine de la ville, le fantasme des garçons. Elle sortira paralysée
de ce terrible accident dont elle est, à part Dolores, la seule rescapée.
Qu’a-t-elle vraiment vu ? En quoi cet accident est-il le moyen pour elle
de faire face à un autre terrible secret que nous découvrirons ?
En segmentant le livre autour de ces quatre points de vue
qui constituent autant de chapitres isolés, Banks donne un rythme, une densité
dramatique exceptionnelle à son livre. On y perçoit les manipulations à
distance et les enjeux implicites de familles qui, chacune à sa façon, tentent
de donner un sens à ce qui ne peut en avoir.
Il en résulte l’un des plus beaux livres de cet auteur
majeur contemporain.
Publié aux Editions Actes Sud – 253 pages