La publication
récente de ces deux nouvelles donne l’opportunité de découvrir l’écrivain
chinois Man Yo à qui fut décerné le Prix Nobel de Littérature en 2012. Une
opportunité appréciable quand on sait sa propension à accoucher d’énormes pavés
de largement plus de 500 pages, tels le récent « Beaux seins, belles
fesses », best seller en Chine et sélectionné dans la liste de référence
2012 du Point, qui dépasse allégrement les mille pages…
Pour bien
comprendre Man Yo – dont le nom, construit à partir de son patronyme Guan Moye,
signifie « Ne pas dire », superbe clin d’œil à la censure – il faut
savoir qu’il est issu de l’une de ces innombrables familles de paysans chinois
pauvres ou moyennement-pauvres (selon la dénomination officielle des plus beaux
jours de la dictature maoïste), plus ou moins sauvées par l’armée populaire
chinoise lors de la guerre contre Tchang Kaï-Shek. Il fut longtemps lui-même un
soldat écrivain avant de se consacrer entièrement à l’écriture, construisant
peu à peu une gigantesque fresque de la société chinoise contemporaine,
dénonçant ses dérives tout en veillant bien à ne pas tomber sous les coups de
la censure.
Le livre dont il
est ici question regroupe deux nouvelles publiées à distance mais dont le point
commun est de dénoncer, sous le couvert d’histoires a priori toute simples, les
dérives et les aberrations de la Chine communiste sous Mao.
La nouvelle
principale « Le veau » nous montre les tribulations d’une famille
paysanne pauvre qui, de crainte de ne pouvoir nourrir le bétail, décide de
faire castrer trois veaux. L’histoire tournera d’autant plus au cauchemar que
l’incompétence, le manque de moyens, la position doctrinaire ridicule qui
enferme les uns et les autres dans des postures de classe figées, la
prévarication et, aussi, la faim s’en mêleront.
Dans la deuxième
nouvelle, l’auteur nous relate l’histoire vraie de l’un de ses professeurs, Zhu
Zongren, qui aura marqué sa jeunesse par son charisme et ses prouesses
sportives improbables. Mais c’est aussi et surtout l’illustration de l’immense
bêtise qui amène à cataloguer comme « droitiers », c’est-à-dire
réputés déviants de la doctrine tout ce qui compte d’esprits brillants,
d’intellectuels ou tout simplement celles et ceux qui, pour le plus anodin des
gestes, seront sélectionnés pour remplir les quotas définis par le pouvoir
central.
Derrière un style
à la fois débonnaire et souvent assez drôle se cache en fait une critique au
vitriol, à peine déguisée, des dérives d’une société qui allait tout droit à sa
perte. Tout cela se lit facilement et rapidement et devrait être de nature à
vous encourager à vous attaquer aux morceaux de choix de cet auteur majeur.
Publié aux
Editions du Seuil – 2012 – 257 pages