Parfois, la vie peut basculer sur une décision a priori sans
conséquence et nous entrainer sur une pente opposée à ce que furent jusque là
nos convictions et nos choix. Il faut pour cela bien peu de choses : une
fascination pour celui ou celle qui nous interpelle, une manipulation bien
articulée ou l’appât d’un gain facile, solution miracle à une terrible
difficulté à vivre. Et, une fois un petit renoncement à ses idéaux entériné, ce
que l’on croit une mise entre parenthèses, le temps de se refaire, de devenir
malgré soi le réceptacle à ce que l’on ignore encore d’ignominie et de boue,
vous projettera définitivement de l’autre côté du miroir dans un mouvement de
grande violence psychique dont il est impossible de sortir indemne.
C’est précisément ce qui va arriver à Renée Balthazar
lorsqu’elle se retrouvera face à Hélène, cette femme de la grande bourgeoisie
nantaise, originaire comme elle d’Entremont. Une femme que, comme tous les
habitants de cette petite vile, elle a admirée pour sa beauté, sa culture et
son mariage à l’héritier de cette longue lignée de notaires.
Quand Hélène vivait une vie de faste, Renée se confrontait à
la bohème. De région en région, cette fille de pauvres agriculteurs, cherchait
sa voie, passant par tous les métiers de moins en moins qualifiés avant que de
s’installer comme artiste potière et peintre et de commettre un livre à compte
d’auteur qui fut un bide complet.
Mais le destin d’Hélène bascula un jour où, après un terrible
et suspect accident de voiture, elle ressortit fracturée et défigurée par
l’incendie du véhicule où se trouvaient son mari et un ami, tous deux épargnés.
Or, c’est cette femme brisée, toute de douleurs et affichant
d’horribles cicatrices mais ayant su garder les manières du grand monde et une
volonté implacable qui, à l’improviste vient solliciter une Renée qui vit
chichement d’expédients dans une grande pauvreté. Lorsqu’elle lui propose
d’être son nègre à prix d’or pour se venger d’un mari qui voulut la tuer,
Renée, après quelques hésitations, voit surtout la possibilité de gagner
facilement une somme d’argent inconcevable jusqu’ici, condition essentielle
pour lui permettre de vivre, aussitôt sa tâche finie, de son art.
Renée apprendra fort vite, à ses dépens, qu’on ne vend pas
son âme au diable sans conséquence. Très tôt, Hélène pliera sa nègre à ses
quatre volontés, lui imposant un style et un contenu qu’elle contrôle en
totalité. En lui confiant la face cachée de ce dont elle fut non seulement la
complice mais l’actrice, Hélène va broyer Renée.
Impossible pour Renée d’entendre et de voir les confessions
immondes sans chercher le refuge dans l’alcool qui estompe une réalité à vomir.
Elle en ressortira brisée à jamais tant pour avoir su ce qu’elle n’aurait
jamais dû que par l’exploitation qui en sera faite et ses multiples
conséquences. Comment démêler le vrai du faux, le désir implacable d’une femme hautaine
de faire voler en éclats la façade apparente et lisse d’un notable de mari
qu’elle abhorre d’une part de manipulation ? Quelle est la part de
responsabilité de celle qui dut écrire sous la dictée, ne recueillant qu’une
version des faits et ne pouvant jamais chercher à faire la part des
choses ?
Renée finira par devenir la victime consciente et tétanisée
d’une descente aux enfers qui la laissera pour toujours à l’écart du chemin qu’elle
s’était donnée de suivre et la fera errer autour d’un monde devenu nauséabond.
Marie Rouanet parvient à évoquer les bas-fonds de l’âme
humaine tout en évitant habilement une
descente dans le macabre. Elle réussit un intéressant travail d’écriture
faisant cohabiter une partie romanesque et narrative avec un roman dans le
roman, celui qu’écrit la Nègre dans un style lapidaire et essentiel. Tout
juste pourra-t-on reprocher à l’auteur une certaine complaisance lassante, à
force d’abus, pour les homonymes.
Un roman parfaitement recommandable et assez dérangeant.
Publié aux Editions Albin Michel - 2010 – 217 pages