Une fois de plus, c’est à une critique en règle,
systématique parce que méticuleuse et démonstrative, de la société Américaine
que se livre ici Russel Banks. Pour ce faire, l’auteur choit de se glisser dans
la peau d’un adolescent d’une quinzaine d’années qui va relater environ deux
années de sa vie où tout s’est joué.
Victime d’un beau-père pédophile et d’une mère absente et
paumée, vivant dans une ville sans âme, sans joie et sans perspective du Nord
des Etats-Unis, le jeune homme est rapidement livré à lui-même. A coups de
joints, il fuit la réalité, plane en zonant avec l’un de ses potes, un peu plus
âgé, plus entreprenant et déjà aux confins du banditisme.
Parce qu’il faut à tous, et surtout à un jeune paumé, livré
à lui-même, une structure de rattachement même élémentaire, même la pire qui
soit, l’adolescent va s’acoquiner à une bande de bikers trash, qui carburent à
la bière, à la drogue dure, et dont le racisme primaire combiné à des actes
mafieux vont conduire à la perte en même temps qu’ils vont remettre
l’adolescent sur les routes.
Commence un long road movie où Chappie, après qu’il se sera
fait tatouer deux tibias hyper réalistes entrecroisés aura du coup changer de
nom en devenant son tatouage (bone veut dire os en Anglais), va errer entre le
continent américain et la Jamaïque.
Après avoir avec son pote squatté une luxueuse villa de
vacances qu’ils auront salopée, Bone se sépare de son compagnon d’infortune qui
l’insupporte et sera pris en charge par une sorte de mystique rasta qui
l’accueillera, lui et une petite fille droguée que Bone aura sauvée de façon
rocambolesque des mains d’un pervers sexuel. Ils squattent un bus qui n’est
autre que celui qui servira de drame à un autre roman de Banks « De beaux
lendemains » et font pousser de l’herbe sur le terrain environnant.
Poussé par le désir de revenir au pays de son protecteur,
Bone le suivra en Jamaïque où il ne va pas tarder à devenir le serviteur zélé
de celui qui s’avère être l’un des caïds de la drogue locale. Bone y retrouvera
aussi son père et avec lui l’espoir d’être aimé avant que d’être à nouveau
abandonné et amèrement déçu par la traîtrise des adultes.
Rescapé miraculeusement d’un règlement de compte sur fond de
vengeance personnelle entre son père et son protecteur, Bone rentrera au pays sur
le bateau qui, à son tour, fait référence à un autre roman majeur de Banks
« Continents à la dérive ».
A son habitude, Banks nous entraine au fond du plus profond
désespoir, dans la fange humaine, dans ce que la misère, l’absence d’espoir et
de futur peut porter en soi de déviances et d’excès de toutes natures.
Roman d’apprentissage, Banks nous donne à voir un enfant
Chappie qui devient un homme aguerri et rusé, Bone, ayant appris à se méfier
des autres, prêt à retourner vivre en Amérique, un pays qui sous le couvert de
l’ouverture d’esprit, ne fait aucun cadeau et encourage les caractères forts.
On sort secoué de ce livre, lourd de sens et d’une noirceur
absolue.
Publié aux éditions Actes Sud – 1995 – 438 pages