Avec son premier roman
« La belle vie », Mathew Stokoe avait produit un livre terrifiant,
totalement déshumanisé, d’une violence physique et psychologique extrêmes.
« Empty Mile » marque une rupture totale. Des fureurs urbaines d’un
Los Angeles démoniaque, nous passons au calme apparent d’une petite bourgade de
la Californie rurale. Une de ces villes moyennes nichées sur le parcours de la
conquête de l’Ouest et, plus particulièrement ici, sur celle de l’or.
Lorsqu’il remet les pieds
sur place après huit ans passés à Londres, Johnny est un homme pétri de
remords. Remords d’avoir laissé son frère cadet, Stan, sans surveillance pour
aller se livrer à une gaudriole champêtre avec Marla, pourtant la copine de
l’ami qui lui avait sauvé la vie quelque temps auparavant. Remords d’avoir vu
Stan se noyer à moitié, le cerveau trop longtemps privé d’oxygène. Depuis,
c’est un homme-enfant qui survit, cachant ses angoisses derrière de grotesques
panoplies de super-héros, rechargeant son énergie vitale en sniffant des
papillons à longueur de journées. Remords d’avoir largué Marla, sans
explication, parce qu’il ne supportait plus d’avoir fait de Stan cet être
bizarre et ridicule. Remords de n’avoir donné aucune nouvelle à un père qui les
a élevés seul depuis la mort précoce de leur mère.
Pourtant, Johnny semble
bien décider à se ranger et à s’occuper de Stan pour réparer ses fautes. Mais,
on le sait bien, la vie est rarement à l’image des plans qu’on s’en était fait.
Du jour au lendemain, le
père de Johnny disparaît sans laisser la moindre trace mais en ayant pris grand
soin de transmettre l’acte de propriété du terrain et du cabanon érigé dessus
qu’il vient d’acquérir à Johnny en lui enjoignant de ne jamais s’en séparer.
Voici Johnny propriétaire d’un coin perdu, Empty Mile, et dont la motivation
d’achat par son père reste un mystère.
Aussi, Johnny
commence-t-il une longue enquête pour comprendre le geste de son père. Une
enquête qui l’emmènera sur les traces des chercheurs d’or et mettra sur son
chemin tout ce que la localité comporte de pourris, de pervers, de tordus. Une
enquête qui mettra à nu les sentiments et qui forcera les plus faibles, les
plus fragiles à faire bloc pour résister à tous ceux qui, pour une raison ou
une autre, par esprit de pure vengeance, de perversion absolue ou de cupidité
ont décidé de leur en faire baver.
Après une première partie
presqu’anodine, calme comme les eaux d’un lac avant la tempête, Mathew Stokoe
montre une fois encore qu'il faudra désormais compter sur lui comme un des
grands de la littérature de série noire.
Les rebondissements
s’enchaînent, les morts s’empilent, les pulsions les plus abjectes poussent à
commettre des actes où tout est conçu pour détruire psychologiquement l’autre,
définitivement. Plus les pages défilent, plus la nasse se resserre, plus la
tension devient intolérable et l’issue impossible à atteindre. Voilà un sacré
page turner recommandable à tout amateur du genre !
Publié aux Editions Gallimard
–Série Noire – 2014 – 420 pages