2.5.15

Les arpenteurs du monde – Daniel Kehlmann


Qu’il est difficile d’être un génie ! Cela pourrait être le sous-titre de ce roman ébouriffant et extraordinaire du surdoué contemporain de la littérature allemande, roman qui devint rapidement culte et un best-seller.

En cette deuxième moitié du XVIIIème siècle, bientôt agitée par les idées révolutionnaires françaises et la formulation de la pensée philosophique moderne, naissent en Allemagne successivement Alexander von Humboldt (1769 – 1859) et Carl Friedrich Gauss ( 1777 – 1855). Deux hommes qui vont révolutionner les sciences et jeter les bases d’une nouvelle pensée scientifique moderne.

Ce sont leurs vies romanesques que nous allons suivre sous la plume inspirée et haute en couleurs de Kehlmann. Une vie faite d’incapacité à être en société dont aucun des deux ne comprend ou n’accepte les codes et les règles. Une vie traversée de fulgurances intellectuelles, où les éclairs de génie ne cessent de se succéder pour laisser entrevoir la porte par laquelle la pensée va s’engouffrer pour résoudre quantité d’énigmes et faire progresser la science à pas de géant.

Humboldt fut un temps tenté par la philologie avant que de devenir ingénieur des Mines et de  trouver sa voie dans les sciences naturelles. Il embarqua tout jeune homme vers l’Amérique du Sud où il passa des années à herboriser, mesurer, inventer de nouvelles techniques de relevés topographiques, dresser les cartes d’une précision effroyable de ces nouvelles nations qui s’organisaient. Navigant tel Aguirre sur des chaloupes de fortune, il apprivoisa l’Amazone, découvrit le canal reliant le fleuve géant à l’Orénoque, expliqua les courants marins et la climatologie, gravit les volcans et s’engouffra dans les grottes les plus sombres pour expliquer la composition de la planète et mettre à bas la ridicule théorie du Neptunisme qui prévalait alors.

Gauss fut surnommé le Prince des Mathématiciens. A huit ans, il se révéla capable d’ingérer en une journée la totalité de la connaissance mathématique de l’époque. Il sauta de son nit de noce pour noter une formule qui révolutionna le monde, fut capable de mesurer l’espace avec une précision terrifiante avant que de probabiliser l’espérance de vie en découvrant la loi statistique en forme de courbe en cloche qui porta son nom.

Humboldt devint chancelier de l’Empereur, Gauss indiqua à Niepce comment résoudre le problème de la fixation de la solution argentique qui posa les bases de la photographie moderne.

Le premier fit venir le second à Berlin au soir de leur vie. Il en résultera une suite de mésaventures, de scènes burlesques car il était impossible à des êtres de génie de se comporter en humains normaux.
On se laisse fasciner par ce roman fort documenté, au style épique et brillant. Un roman d’aventure et d’inventions. Un roman profondément psychologique aussi. Un roman enfin qui force l’admiration et vaut, en soi, que l’on découvre d’urgence Daniel Kehlmann si vous ne le connaissiez pas encore !


Publié aux Editions Actes Sud – 2006 – 299 pages