De façon un peu
surprenante, la figure dramatique de Pauline Dubuisson semble alimenter la
création littéraire. Après le très romancé « Je vous écris dans le noir »
de Jean-Luc Seigle, c’est Philippe Jaenada qui publie une bibliographie très
documentée de celle qui fut considérée et traitée comme la plus grande femme
criminelle de son temps, au tout début des années cinquante.
C’est par hasard
que l’auteur a croisé son personnage. Au vu de ce qu’il en avait lu, il se
disait que cette femme devait avoir été un monstre et que sa condamnation à la
perpétuité pour le meurtre de son amant à vingt-quatre ans était largement
justifiée.
Mais, au bout d’un
an de recherche acharnée, douze mois durant lesquels il éplucha en détail le
dossier d’instruction, la presse et tout ce qui pouvait se rattacher à ce
drame, sa perception des choses changea. Comme il nous l’explique de façon
aussi précise que convaincante, Philippe Jaenada est désormais convaincu que
Pauline Dubuisson fut avant tout la victime du jugement moral de son temps.
Jugée par un jury
composé de sept hommes et d’une seule femme (qui la sauva de la décapitation),
mal défendue par un avocat mystique, vilipendée par des accusateurs d’une
violence et d’une outrance qui allèrent jusqu’à choquer le public venu assister
en masse au procès, chargée comme jamais dans un dossier d’instruction bâclé,
réarrangé et partial, la meurtrière indubitable (bien que très
vraisemblablement totalement involontaire comme le démontre l’auteur) fut avant
tout jugée parce qu’elle refusait de se conformer aux us de son temps.
Pauline était en
effet une femme libre, belle, indépendante, rêvant de devenir médecin. Une
femme élevée à la dure par un père qui voulait en faire le fils qu’il ne
trouvait pas dans sa mâle descendance. Une fille qui comprit très tôt le
pouvoir qu’elle détenait sur les hommes et prit des amants parmi les forces d’occupation
allemande avec lesquelles frayait de façon plus ou moins compromettante son
père. Une femme qui couchait sans être mariée et qui refusait de se conformer
au dogme de l’époque qui voulait qu’une femme ne pût être rien d’autre qu’une
bonne épouse et une mère de famille pendant que le mari adoré bossait pour
faire vivre sa famille.
Jaenada aurait
certainement fait un brillant défendeur de l’accusée. Et comme il est un homme
de lettres à part, au style bien particulier, il ne peut s’empêcher de glisser
de longues et drolatiques digressions où de nombreux épisodes de sa vie
personnelle ou amoureuse, enchâssées dans des séquences de parenthèses dont il
a le secret, surgissent comme de puissants miroirs expliquant les déviances,
défendant le droit de vivre ou de penser autrement, pardonnant à distance ce
que la bonne société refusa délibérément de pardonner à une jeune femme quelque
peu égarée et tourmentée.
La vie de Pauline
Dubuisson fut aussi courte que dramatique, elle qui finit par se suicider à
trente-neuf ans, victime à nouveau d’une presse qui en fit un personnage
hystérique alors qu’elle tentait de trouver sa place comme médecin au Maroc et
qu’elle pensait avoir trouvé le grand amour.
Jaenada signe là
un ouvrage puissant qui, bien que très épais (plus de sept cent pages), se lit
avec passion et compassion, arrachant de nombreux rires et sourires lorsque l’auteur
semble s’égarer – de façon très maîtrisée à vrai dire – dans la contemplation
de sa propre existence quelque peu extraordinaire. Un Must.
Publié aux
Editions Julliard – 2015 – 714 pages