Depuis son
premier roman à succès, « Le chagrin », on sait que Lionel Duroy eut
maille à partir avec sa famille. Chaque livre constitue ainsi pour lui une
nouvelle étape cathartique, comme autant de séances longues auprès d’un public
fidèle dont il a fait un docile et compréhensif psychologue voire
psychanalyste.
Il pourrait
devenir fâcheux et lassant de subir les cris de la mère, Suzanne, ex grande
bourgeoise bordelaise, qu’un malheureux mariage a liée à un homme, Toto, un
brin escroc, toujours à cours d’argent, prolifique au point de lui donner dix
enfants. Si bien que les déménagements à la cloche de bois s’enchainent, que de
fastueuse au début la vie devient misérable et que le quatrième de la fratrie,
Augustin Revel (le double littéraire absolu de l’auteur), n’aura de cesse de
fuir cette famille de cinglés en dénonçant une vie détruite dans des romans
autobiographiques.
Ce serait sans
compter sur le talent de Lionel Duroy pour sans cesse changer de point
d’observation afin de mieux tenter de comprendre et de nous faire comprendre à
travers les yeux de son avatar, Augustin, pourquoi on reste abîmé, à soixante
ans passés, jamais remis d’une enfance insécurisée. Car Augustin est un type
carrément à la masse qui, ici, vient de se faire larguer par sa deuxième
épouse. Obligé de vendre sa maison pour payer son divorce, il décide de charger
son antédiluvienne Peugeot d’un bric-à-brac de photographies, de jouets
d’enfants cassés, de classeurs administratifs sans oublier ses deux vélos
hors-de-prix, insolites et désuets, témoignages d’une époque cycliste révolue
quoiqu’héroïque. Le voici parti sur les routes de France, sans schéma préconçu,
répondant à ses seules émotions du moment, parcourant sans logique aucune un
pays en tous sens.
Tout le schéma de
vie d’Augustin semble se résumer à quelques principes. Se marier pour trouver
un équilibre et puis cesser de témoigner l’affection à celle qu’on a épousée
car il est resté cet enfant malgré lui en mal d’affection de sa mère. Se faire
larguer avant de recommencer. Etouffer sa dépression chronique en écrivant des
livres traitant exclusivement du sujet familial car il n’y a que l’écriture qui
le libère et l’empêche de sombrer. Brutaliser ceux qui l’aiment : ses
amantes, ses lecteurs, les membres de la famille car il ne sait pas aimer
simplement ni s’aimer lui-même. Réagir à des pulsions incontrôlées, passant
d’un sujet à l’autre, n’hésitant pas à descendre en pleine nuit dans un parking
pour vider sa voiture afin de retrouver une photo et de s’abîmer dans une
contemplation au cours de laquelle s’enchaînent les rêveries. Car mieux vaut le
rêve que la conscience d’une réalité insupportable.
Alors forcément, ainsi
fragilisé, Augustin est la proie facile d’une libraire aussi folle que lui. Une
fille tombée raide amoureuse à distance et qui le poursuit dans chacune des
étapes d’un périple. Une soupirante qui va savoir se faire accepter et
participer à la reconstruction d’Augustin. Lui ne pense qu’à son prochain livre
dont le thème doit être, une fois de plus, cette mère qui l’a torpillé. Elle ne
pense qu’à lui. Leur association improbable va contribuer à ce qu’Augustin ait
enfin le courage de renouer avec ses racines, à retourner du côté de Bordeaux
pour comprendre et découvrir celle que fut vraiment sa mère avant de devenir
cette seule folle qu’il a toujours connue.
Lionel Duroy
signe ici un beau livre de réconciliation, plein d’autodérision, rempli
d’humour caustique sans apitoiement sur soi-même. Un livre où l’on rit beaucoup
et autant que l’auteur rit de lui-même malgré la gravité du sujet. Une jolie
réussite.
Publié aux Editions Julliard - 2016 - 360 pages