Anna Enquist, avant que de se consacrer à l’écriture et de
devenir l’une des figures essentielles de la littérature néerlandaise
contemporaine, fut une pianiste soliste de rang international. Une donnée à ne
pas oublier ou sous-estimer pour donner encore plus de sens à ce qui est sans
doute l’un de ses livres les plus personnels, « Contrepoint ».
Ce sont les Variations Goldberg de JS Bach qui servent de
trame à chacun des très courts chapitres qui ponctuent le roman. Trente variations
qu’Anna Enquist introduit en citant les premières mesures, reproduites en
en-tête, celles qui donnent le thème qui va faire l’objet d’infinies, subtiles
et complexes variations de la part du compositeur qui en fit un art à part
entière. Trente variations que prend le temps de nous expliquer la
romancière-pianiste avec un soin qui déroutera sans doute les lecteurs ne
comprenant rien à la musique et encore moins au solfège et à l’harmonie. Trente
variations qui vont servir de prétextes pour jouer avec le temps et remonter
jusqu’au moment où tout bascula comme nous finirons par le comprendre en toute
fin du livre.
Trente variations sur lesquelles s’acharnent une femme,
pianiste professionnelle, mariée à un violoncelliste de rang du Concertgebouw
d’Amsterdam et mère de deux enfants. Trente variations dont il faut maîtriser
les doigtés rebelles et décider du mode d’interprétation, Bach, comme il était
d’usage à l’époque, n’ayant laissé que le strict minimum en matière
d’indications. Des choix aussi difficiles que ceux à faire dans la vie, sans
mode d’emploi, sans recette infaillible, laissée à son seul instinct.
Trente variations pour renouer avec la vie qui a perdu son
sens. Trente variations pour se raccrocher à quelque chose de tangible. Trente
variations pour revenir sur chaque épisode essentiel d’une existence désormais
déclinante, triste et terne comme les jours glaciaux d’hiver des Pays-Bas. Les
souvenirs de vacances dans la maison familiale au bord d’un lac en Suède, dont
est originaire le mari et père, y forment l’essentiel des moments heureux.
Entre ces séjours, on y voit surtout la fille de la famille, pièce essentielle
de ce contrepoint, se débattre avec la vie à toutes époques, incapable de
choisir, de dire non, de gérer son argent comme son agenda, bref de devenir
adulte.
En contrepoint de ces variations survient celui des
souvenirs et des images, heureux ou malheureux, instantanés de moments qui ne
seront plus, point d’interrogation à jamais irrésolus de ce qu’il aurait fallu
faire ou non. C’est toutes les questions des choix dans la vie, du hasard et de
la nécessité et du fatum aussi qui sont ici posées avec une infinie pudeur et
une rare intelligence.
Un livre remarquable et difficile.
Publié aux Editions Actes Sud – 2010 – 229 pages