Nous aimons énormément Metin Arditi pour sa culture, son
écriture souvent grandiose et l’extrême qualité de ses romans par ailleurs fréquemment
récompensés de prix nombreux. Ce n’est certainement pas son dernier opus,
« Prince d’orchestre », qui nous fera changer d’avis.
Renonçant pour une bonne part à une écriture ciselée pour
emprunter un langage plus direct, recourant – c’est une première – à de très
courts chapitres à un intervalle régulier et qui s’accélère au fur et à mesure
que l’étau se resserre, Metin Arditi entreprend de nous donner à voir le chemin
dévastateur de la folie d’un homme qui avait pourtant tout pour réussir.
Alexis Kandilis est l’un de ces chefs d’orchestre que
la planète musicale s’arrache. Ses
concerts déclenchent l’enthousiasme du public et le respect de la critique
jamais avare de compliments et de flatterie. Jusqu’au jour où ce chef irascible
et à l’ego surdimensionné profèrera une authentique vacherie en public à un
pauvre percussionniste incapable de se caler sur l’orchestre. A partir de là,
le destin de Kandilis va basculer selon un processus qui démontre une intime
connaissance de l’auteur des fonctionnements des orchestres et des critiques
(n’oublions pas qu’il préside l’orchestre de la Suisse Romande et la fondation
Les Instruments de la Paix-Genève).
En quelques jours, parce qu’il a voulu se croire l’égal des
plus puissants et le maître absolu de tous les orchestres du monde, un Dieu
musical sur terre, tous les projets de Kandilis vont sombrer et tourner à la
déroute la plus complète. Longue est l’ascension vers les plus hautes marches,
courte et amère est la chute.
En quelques mois, Kandilis ne sera plus que l’ombre de lui-même, une loque
vivant dans des pensions miteuses, ayant dilapidé sa fortune au jeu, quitté par
une épouse qu’il n’aimait de toutes façons pas et trompait. Il finira recueilli
par un couple de gouines de ses amies, les seules qui lui aient gardé leur
amour et leur respect.
Hanté par les Kindertotenlieder, Kandilis s’enfoncera de
plus en plus profondément dans la dépression et la folie au fur et à mesure que
son projet d’inventer un nouvel ordre musical, véritable révolution dans la
façon de composer, prendra corps. La musique de Mahler qui s’inscrit en boucle
dans l’esprit de Kandilis ne fait que traduire la résurgence de brèches béantes
remontant à l’enfance. Longtemps, elles furent masquées par la course à
toujours plus de gloire. Avec l’abandon par tous, la perte du respect de soi,
elles sonnent le glas d’un homme face à son propre gouffre et prêt à s’y jeter
poussé par une folie démente.
Arditi impressionne par son authentique capacité à susciter
un rythme haletant jusqu’à la brisure inéluctable sur fond d’enterrement
symbolique public et vexatoire de tout ce qui fit le lustre d’un homme devenu
le bouc-émissaire de tous ceux dont il s’est fait des ennemis ou des obligés.
La façon dont la folie progresse y est rendue avec un réalisme et un luxe de
détails proprement frappants.
Metin Arditi signe ici un très grand livre qui n’est pas
sans rappeler « La pension Marguerite » à laquelle il est d’ailleurs
fait explicitement référence. A lire absolument !
Publié aux Editions Actes Sud – 2012 – 373 pages