En 1955, Ruth Ellis, une jeune femme de vingt-huit ans, fut
la dernière personne à être pendue sur décision de justice par l’Exécuteur en
chef du Royaume Uni, Albert Pierrepoint.
Tirant son matériau de cette histoire vraie ainsi que des
mémoires d’un bourreau flegmatique, calculant au centimètre près la bonne
longueur de corde pour que chacun des plus de 400 condamnés à mort (dont 200
criminels de guerre) dont il eut la charge mourût proprement et sans souffrir,
Didier Decoin nous livre un double récit poignant.
D’un côté, celui d’une pauvre fille, Ruth, violée à
répétition comme sa sœur aînée dès son enfance par un père aux allures
aristocratiques, violoniste sur un paquebot transatlantique. Une fille dont le
rapport aux hommes est à jamais dysfonctionnel, cherchant un alliage impossible
entre la recherche de la sécurité d’un père aimant, la poursuite du plaisir du
corps et l’attirance pour les éphèbes malsains. Une fille qui choisit, pourvue
d’un physique avantageux, de devenir une prostituée de luxe tout en recherchant
le grand amour qui la fait tomber sur ce que la gent masculine offre de
pire : un homme volage, violent, pervers, beau comme un dieu, pilote de
course, dépensier comme personne dont elle va tomber follement amoureuse avant
que de finir par l’assassiner, manipulée par un amant qu’elle n’aime pas mais
qui la finance, jaloux à en crever de l’autre qui fut, un temps, son meilleur
ami. Une histoire sordide où la classe ouvrière ne peut jouer que des instincts
les plus bas pour tenter de tirer parti de la classe bourgeoise ou dirigeante…
De l’autre, celui d’un bourreau nommé par le Maréchal
Montgomery lui-même, fils et petit-fils de bourreau dont tout le paradoxe est de
réaliser sa tâche de manière irréprochable, d’exercer le métier d’aubergiste
sans jamais accepter de commenter la moindre exécution tout en désirant
profondément, depuis qu’il eut à pendre une criminelle nazie de vingt-deux ans
au regard troublant, ne plus avoir à pendre de femmes.
Didier Decoin met en balance, de façon fascinante, la façon
dont Ruth marche inexorablement vers son destin tandis que son futur bourreau
avance sur la voie du doute au point de se retirer à jamais après avoir expédié
la belle jeune femme, dont des dizaines de milliers de citoyens réclamaient la
grâce, ad patres.
Un beau livre amenant une fois de plus à réfléchir sur la
prédestination, la justice des hommes, le sens moral, les valeurs. Un livre
sobre et digne comme celles et ceux qui franchissent les derniers pas les menant
à la potence, quels que soient leurs crimes.
Publié aux Editions Grasset – 2013 – 335 pages