Wanderer : tout est déjà résumé dans un titre qui n’est
pas choisi par hasard. Wanderer signifie tout d’abord « Marcheur ou
promeneur » en allemand. C’est aussi et surtout le titre d’un Lied du
cycle du Voyage d’hiver de Schubert qui décrit le bouillonnement intérieur de
celui qui revient, au cœur de l’hiver, d’un long périple hasardeux. Enfin, pour
la complétude, c’est le nom donné à Wotan, le roi des Dieux de la tétralogie
wagnérienne, un dieu plein de contradictions, colérique et infidèle qui
parcourt sans cesse le monde des humains pour en tirer avantage. Musique et
langue allemande sont donc au cœur du récit. Inutile de vous y aventurer si ces
sujets ne vous parlent pas.
La quatrième de couverture nous apprend que Sarah Léon est
une étudiante de Normal Sup en littérature et musicologie. Deux sujets qu’elle
maîtrise d’évidence à la perfection comme le révèle son ambitieux premier roman
écrit alors qu’elle n’avait pas encore vingt ans.
Voici qu’à son tour, celui qu’on a surnommé Wanderer,
revient par surprise au cœur de l’hiver. Il débarque sans prévenir chez celui
qui fut son découvreur et son premier professeur de piano, un jeune compositeur
qui s’est retiré comme un ermite dans une sorte de ferme perdue dans les
montagnes et enfouie sous des quantités de neige. Voilà dix ans qu’ils ne se
sont pas vus, depuis que Lenny , devenu entretemps un soliste du piano
mondialement recherché et suivi sous le nom de Wanderer, a brusquement coupé
les ponts sans donner de nouvelles.
Page après page, Sarah Léon construit un savant récit où
chacun des dialogues (pièce essentielle autour de laquelle tout est suggéré et
s’élabore un peu comme une pièce de théâtre) fait immédiatement écho au passé.
Car ce présent où ces deux hommes encore jeunes se retrouvent est hanté par le
passé d’une amitié tumultueuse, passionnelle et dont nous comprendrons bien
vite, à moins d’être aveugle, qu’elle relevait clairement d’une histoire
d’amour inavouée.
Le monde de ces deux hommes étant celui de la musique et
tout particulièrement de la musique de Schubert qu’ils ont jouée ensemble et
dont Lenny est devenu un spécialiste, c’est la musique qui structure le récit
qui évolue comme une savante partition largement émaillée de références
musicologiques et de textes en Allemand. C’est à la fois, du coup, la force et
la faiblesse de ce premier roman qui s’adressera avant tout à un public très
averti, très à l’aise avec la musique classique, très préférablement celle de
Schubert, et idéalement germanophone car l’utilisation et la compréhension de
la langue allemande, celle de Schubert, celle maternelle de Lenny, celle, plus
largement, de beaucoup des compositeurs contemporains quelle que soit leur
nationalité apportent un plus même si, la plupart du temps, une traduction de
qualité est proposée en bas de page.
Bref, un premier roman sombre de climat, brillant par sa
construction mais élitiste sur le fond et la forme.
Publié aux Editions Héloïse d’Ormesson – 2016 – 172 pages