Il faut souvent des symboles forts pour marquer la fin d’un
mythe ou d’une époque. Dans le dernier roman de Jonathan Dee, ce sera avec
l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center que s’amplifiera
l’effondrement parallèle de la société américaine menant jusqu’au désastre de
la dernière élection présidentielle.
Tout commence donc alors que la vie s’arrête, au propre
comme au figuré. Dans un New-York abasourdi, le temps semble s’être figé. Deux
Américains moyens venus à un rendez-vous avec l’avocat chargé de les défendre
dans un recours collectif contre un escroc qui leur aura soutiré toutes leurs
économies repartiront sans avoir été reçus et sous le choc de l’attentat
terroriste.
C’est l’un des deux que nous allons suivre de retour dans sa
petite ville du Massachusetts. Lui, le petit entrepreneur spécialisé en
rénovation de maisons, sera célébré comme un héros ayant échappé à une mort
certaine. Tout un symbole de l’exagération typique américaine et de ce besoin
constant de se rassurer à l’aide de gestes ou d’actes collectifs. Y compris
pour se berner.
Mais, ce qui intéresse fondamentalement Jonathan Dee ici
c’est d’observer cette multitude d’Américains moyens et la façon dont ils se
débattent et tentent de surnager dans une société où l’argent fait roi et où
les riches sont de plus en plus riches, projetant le reste de la population
dans la débrouillardise, la dépendance ou l’exclusion.
D’ailleurs, dans ce patelin éloigné de tout, ce sont les
riches new-yorkais qui permettent à l’économie locale de survivre. Ils y ont
fait construire des demeures exagérées où ils résident le temps de quelques
week-ends ou quelques journées à la belle saison. Mais, depuis le 11 Septembre,
tout ceci s’est brusquement arrêté. Seul un riche homme d’affaire secret, ayant
décidé de fuir Big Apple qu’il déclare être sous la menace de nouveaux
attentats, est venu s’installer avec sa famille dans la luxueuse villa qu’il
s’est fait construire.
Peu à peu, cet homme visiblement immensément riche va imposer
sa marque sur la petite ville. Après le décès brutal du Maire, il se fera élire
et imposera un régime fait d’économies sévères et de la volonté constante, sous
des allures faussement bienveillantes et populistes, d’imposer des mesures de
restriction des libertés fondamentales. Car l’Amérique post 11 Septembre est
devenue à la fois paranoïaque et encore plus atrocement dominatrice. La règle
est que l’argent permet de tout acheter, de tout imposer. Surtout s’il est
confisqué au profit d’une minorité qui impose ses vues, de manière
illusoirement démocratique, usant de n’importe quel prétexte fallacieux pour
protéger plus encore ses égoïstes intérêts. La ville du roman devient à cet
effet une sorte de microcosme illustratif d’un pays que Trump a mis sous sa
coupe, tentant d’y fourrer le reste du monde en même temps, changeant les
règles sans vergogne.
Une fois les puissants du moment partis, il ne reste que
plus de misère, plus de désespoir, plus de détresse. C’est la conclusion
implacable du livre fort de Jonathan Dee.
Publié aux Editions Plon – 2018 – 410 pages