En cette année 1310, les bûchers fleurissent sur la place de
Notre-Dame à Paris. On y brûle tout ce que le Royaume de France qualifie
d’hérétiques. Ce jour-là, c’est une béguine venue du Nord de la France, à la
frontière de la Belgique, que l’on sacrifie en place publique pour avoir osé
rédiger un livre, qui deviendra un classique des mystiques, appelant à aimer
Dieu directement, en dehors de toute institution religieuse. Un outrage
inacceptable pour une Eglise qui n’entend pas perdre sa toute-puissance et qui
se soucie bien plus des honneurs et de son emprise terrestres que du bien-être
spirituel, maniant la torture, le châtiment et la promesse de l’enfer envers
tous ceux qui oseraient se monter contre elle. Bientôt, ce seront les Templiers
eux-mêmes qui seront farouchement combattus, brûlés vifs, devenus un
contre-pouvoir inacceptable. En ce temps reculé, règne Philippe Le Bel, un roi
rigide, quelque peu paranoïaque et qui va se servir d’une foi outrancière pour
justifier d’une politique dictatoriale et guerrière.
Or, depuis Louis IX, quelques femmes ont gagné le droit de
vivre par et pour elles-mêmes, en dehors de toute soumission aux hommes, de
tout lien de mariage. Protégées par le Roi, elles forment des communautés industrieuses,
autonomes, obéissant à un ordre et servant Dieu et les pauvres sans pour autant
être des religieuses. Ce sont les béguines vivant derrière les enceintes closes
des béguinages enchâssés au cœur des grandes cités. A Paris, elles occupent ce
qui est devenu, depuis, le quartier du Marais, adossé au Palais-Royal d’alors.
Autant dire que ces femmes indépendantes représentent une
situation inacceptable pour une Eglise omnipotente. Tant que les rois
successifs les protégèrent, elles étaient inattaquables. Mais avec un Roi fou
de Dieu, caractériel et despotique, en lutte permanente contre un pape faible,
leurs jours sont comptés.
C’est à partir de cette situation historique qu’Aline Kiner
élabore un très joli roman historique dont nous ne dévoilerons pas l’intrigue
par ailleurs fort bien menée. Disons simplement qu’elle nous permet de plonger
au cœur de la vie quotidienne d’un Moyen-Âge où conditions politiques et
climatiques se combinaient pour faire de l’existence un parcours
particulièrement accidenté et dangereux.
En ces temps actuels où l’Islam radical tente de manière
sanglante d’asseoir une nouvelle forme de dictature, on le sait : les
premières victimes sont toujours les femmes qui ne doivent avoir d’autre raison
d’être que de servir les hommes et d’enfanter. Le schéma a toujours été le même
et c’est cette menace contemporaine que l’on peut aussi lire en sous-texte de
ce roman historique aux personnages attachants, à l’histoire prenante et qui
parvient à rendre particulièrement bien l’ambiance de l’époque.
Publié aux Editions Liana Levi – 2017 – 431 pages