L’Idaho, un de ces Etats sauvages de l’Amérique, une de ces
contrées où la Nature règne en maître imposant sa loi, dictant selon les
intenses variations de son climat la conduite aux humains téméraires qui
auraient décidé de s’y installer.
C’est là que Wade et son épouse Jenny, jeunes et pleins
d’entrain, se sont installés il y a de cela des années. Quelque part sur une
montagne que la neige l’hiver rend pratiquement inaccessible. Une vie rythmée
sur les saisons et dans laquelle deux jeunes enfants peuvent donner libre cours
à leur fantaisie. Du moins jusqu’au drame, inexplicable. Car, un jour d’été
brûlant, sans crier gare, Jenny tuera d’un coup de hache l’une de ses filles
sous les yeux de l’autre qui prendra la fuite et que, jamais, on ne retrouva.
Depuis, Jenny est enfermée dans la prison de femmes de
l’Etat où elle s’inflige les tâches les plus ingrates et se réfugie dans un
mutisme et un enfermement total pour se punir d’un geste impardonnable aussi
bien qu’inexplicable.
Depuis, Wade a refait sa vie et épousé Ann, une professeur
de piano beaucoup plus jeune qu’elle. Ensemble, ils tentent de reconstruire
quelque chose, de réparer une existence à jamais marquée par la disparition
brutale, définitive, des trois femmes de Wade. Une tentative qui peut conduire
à l’épuisement, au désespoir tant la mémoire de Wade s’évanouit. Tandis qu’Ann
s’enferme régulièrement dans le vieux pick-up rouillé où eut lieu le crime,
tentant de comprendre ce qui a bien pu se passer, Wade fabrique des couteaux
d’artisanat qu’il vend. Un art qu’il a bien du mal à maintenir présent tant son
esprit se brouille. Alors, peu à peu, les souvenirs et la vie passée de Wade
s’effacent tandis que celle d’Ann tente de se poursuivre, coincée entre ses
occupations professionnelles, la gestion d’un époux qui dérape dans une douce
folie, la quête d’une explication à ce qui s’est passé des décennies plus tôt.
Et, à distance, la vie de Jenny se transforme à toutes petites touches au gré d’une
fragile amitié entre deux femmes prisonnières, toutes deux meurtrières d’êtres
aimés et à la recherche maladroite d’un pardon mêlé de punition et de
repentance.
Emily Ruskovich frappe un grand coup avec ce premier roman,
superbement construit et maîtrisé, polyphonique et hypnotique. Le lecteur se
trouve plongé malgré lui dans une quête impossible, celle d’explications qui
n’existeront jamais, celle de solutions qui ne peuvent être que bancales, celle
de vies qui, jamais, ne pourront suivre un cours normal. Un roman fascinant où
la Nature, magnifiquement rendue et essentielle, est omniprésente et exerce un
poids constant sur les actes et les déraisons.
Publié aux Editions Gallmeister – 2018 – 360 pages