Paru en 1967 aux
Etats-Unis, le roman de John Rechy ne fit l’objet d’une traduction et d’une
édition françaises que très récemment. Une réparation méritée pour un écrivain
au profil si particulier qui eut le courage – et le mérite – d’écrire sur la
prostitution homosexuelle masculine à une époque où un tel sujet relevait d’un
véritable anathème.
Difficile de ne pas voir
en Johnny Rio, l’apollon vers qui tous les regards se tournent, un jeune homme
qui suinte le sexe pour reprendre une expression de son créateur, un double de
John Rechy. Tous deux firent du tapin un mode de vie comme un moyen de
subsistance. Rechy poursuivit d’ailleurs cette activité jusqu’à l’âge de
cinquante-cinq ans, malgré ses succès littéraires, malgré les cours de creative
writing qu’il donnait à l’Université. Par peur que le succès littéraire ne
cesse, par peur de ne plus plaire sans doute aussi. Ce n’est que lorsqu’il
rencontra comme client un homme de vingt ans son cadet qui allait devenir son
compagnon au long cours qu’il mit un terme à son activité de tapin.
Johnny Rio, une star de
la prostitution masculine à Los Angeles, revient dans la ville des Anges après
trois longues années d’absence et d’abstinence. Plus beau et plus musclé que
jamais, il se complaît dans un narcissisme vain : celui d’attiser le désir
de l’autre, homme (de préférence) ou femme (par exception), celui d’être choisi
tout en se donnant le luxe de choisir à son tour selon des règles et des
critères de plus en plus sophistiqués. Dès lors, quoi de plus naturel que de
retourner sur les hauts lieux de ses exploits passés, du côté des collines de
Hollywood où de rapides échanges sexuels se monnaient, sans amour et presque
sans désir non plus.
Mais Johnny, qui a mis un
peu d’argent de côté, ne veut plus tapiner. Il veut seulement accumuler les
coups, multiplier les passes quotidiennes selon des règles qui lui
appartiennent. D’abord, pas de réciprocité sexuelle. Il accepte d’être sucé,
point barre. Pas de paiement non plus. Ensuite, ne jamais pratiquer avec le
même homme, chaque acte devant se faire avec un nouveau partenaire vite séduit
et aussitôt rejeté, une fois la braguette refermée. Enfin et surtout, il s’agit
pour Johnny de remplir un quota quotidien, chaque jour plus élevé comme une
spirale infernale le poussant à vérifier en permanence sa valeur de séduction
au risque de sombrer dans des traques de plus en plus sordides et de plonger
dans une dépression absolue, totale, incompréhensible vue de l’extérieur.
On l’aura compris,
« Numbers » n’est pas un roman ordinaire mais plutôt la chronique
triste de ce qu’une société hypocrite peut conduire à provoquer : un amour
sans amour et à haut risque. Un livre coup de poing, étrange et perturbant.
Publié aux Editions
Laurence Viallet – 2018 – 252 pages