17.3.19

Au-delà des frontières – Andreï Makine



La dernière parution de Makine a de quoi surprendre ; au point qu’une fois le livre achevé, on risque de continuer de se poser la question d’en comprendre l’objet et le propos…
Un critique reçoit un jour par le courrier le tapuscrit intitulé « Le Grand Déplacement » que nous découvrons en même temps que son récipiendaire. Il y est question, dans une langue à la fois classique et brûlante, d’une France imaginaire d’ici à vingt ans. Une nation qui déplace par dizaines de millions tout ce qu’elle aura compté de réfugiés, d’immigrés et de personnages présentant un quelconque danger pour un pays qui veut retrouver la gloire et le lustre de son passé. Un pays qui aura donc sombré dans le nationalisme outrancier, bercé de l’illusion qu’une épuration passant par l’envoi massif de population en une Syrie dévastée et à repeupler pourra lui redonner l’allant perdu. L’auteur, comme nous ne tarderons pas à l’apprendre, en est un jeune homme d’origine noble, fondateur d’un micromouvement ultra-nationaliste et conservateur qui s’est suicidé dans la fleur de l’âge. C’est sa mère qui a adressé le roman dans l’espoir de le faire éditer. Une mère que va rencontrer le critique alors qu’elle-même est sur le point de se suicider à son tour faute de trouver un sens et une place dans une société où elle ne se reconnaît plus.
Entre cette femme en mal d’affection et cet homme célibataire et qui squatte l’improbable appartement d’une sorte d’ermite parti tenter une autre forme d’existence dans le Caucase, une relation de confiance basée sur l’écoute et l’absence de jugement va peu à peu se nouer. Une relation qui les poussera à leur tour à quitter la France et Paris pour rejoindre ceux que l’on appelle les « diggers », une sorte de secte décidée à se couper de la vie moderne et à subvenir à leurs propres besoins en autosuffisance.
Pourquoi pas à une époque où un monde durable, capable de faire face à une explosion démographique et à un réchauffement climatique dramatiquement préoccupant, reste à inventer pour tenter de sauver l’humanité.
Pour autant, de quoi est-il vraiment question dans ce roman qui part dans de multiples directions ? De la puissance de la littérature pour encourager l’imaginaire ou le poétique ? Des fausses solutions fondées sur des idéologies qui ne mènent nulle-part ailleurs qu’au chaos ? Ou bien, au fond, ne serait-ce que le rêve d’autre chose et le recentrage sur une société proche de la nature qui ébaucherait un possible futur ? Sans doute un peu de tout cela. Mais que voici un livre étrange auquel on peut se sentir profondément étranger d’ailleurs !
Publié aux Editions Grasset – 2019 – 268 pages