La dernière parution de
Makine a de quoi surprendre ; au point qu’une fois le livre achevé, on
risque de continuer de se poser la question d’en comprendre l’objet et le
propos…
Un critique reçoit un
jour par le courrier le tapuscrit intitulé « Le Grand Déplacement »
que nous découvrons en même temps que son récipiendaire. Il y est question,
dans une langue à la fois classique et brûlante, d’une France imaginaire d’ici
à vingt ans. Une nation qui déplace par dizaines de millions tout ce qu’elle
aura compté de réfugiés, d’immigrés et de personnages présentant un quelconque
danger pour un pays qui veut retrouver la gloire et le lustre de son passé. Un
pays qui aura donc sombré dans le nationalisme outrancier, bercé de l’illusion
qu’une épuration passant par l’envoi massif de population en une Syrie dévastée
et à repeupler pourra lui redonner l’allant perdu. L’auteur, comme nous ne
tarderons pas à l’apprendre, en est un jeune homme d’origine noble, fondateur
d’un micromouvement ultra-nationaliste et conservateur qui s’est suicidé dans
la fleur de l’âge. C’est sa mère qui a adressé le roman dans l’espoir de le
faire éditer. Une mère que va rencontrer le critique alors qu’elle-même est sur
le point de se suicider à son tour faute de trouver un sens et une place dans
une société où elle ne se reconnaît plus.
Entre cette femme en mal
d’affection et cet homme célibataire et qui squatte l’improbable appartement
d’une sorte d’ermite parti tenter une autre forme d’existence dans le Caucase,
une relation de confiance basée sur l’écoute et l’absence de jugement va peu à
peu se nouer. Une relation qui les poussera à leur tour à quitter la France et
Paris pour rejoindre ceux que l’on appelle les « diggers », une sorte
de secte décidée à se couper de la vie moderne et à subvenir à leurs propres
besoins en autosuffisance.
Pourquoi pas à une époque
où un monde durable, capable de faire face à une explosion démographique et à
un réchauffement climatique dramatiquement préoccupant, reste à inventer pour
tenter de sauver l’humanité.
Pour autant, de quoi
est-il vraiment question dans ce roman qui part dans de multiples
directions ? De la puissance de la littérature pour encourager
l’imaginaire ou le poétique ? Des fausses solutions fondées sur des
idéologies qui ne mènent nulle-part ailleurs qu’au chaos ? Ou bien, au
fond, ne serait-ce que le rêve d’autre chose et le recentrage sur une société
proche de la nature qui ébaucherait un possible futur ? Sans doute un peu
de tout cela. Mais que voici un livre étrange auquel on peut se sentir
profondément étranger d’ailleurs !
Publié aux Editions
Grasset – 2019 – 268 pages