Quittant pour la seconde
fois l’univers de la BD (il est l’auteur du très remarqué Zaï zaï zaï zaï),
Fabrice Caro troque ses crayons dessinateurs pour se saisir de la plume
caustique et désopilante d’un romancier contemplant sans concession ses
contemporains.
C’est dans une sorte de
théâtre de poche qu’il nous transporte. Celui d’un repas familial réunissant
Adrien, un quadragénaire dépressif et prompt à tout transformer en drame, ses
parents, sa sœur et son futur beau-frère Ludo, l’homme qui entretient les
conversations. Car c’est de l’impossibilité de se parler vraiment qu’il est en
réalité question tout au long de ce roman foutrement cocasse.
Interrompant ses
dissertations à haute voix sur des thèmes qui vont de la fonte du permafrost à
l’importance du chauffage par le sol, Ludo demande tout à trac à Adrien de bien
vouloir concevoir un petit discours à l’occasion de la cérémonie de son mariage
avec sa sœur qui doit avoir lieu prochainement. Une demande qui ne peut plus
mal tomber alors qu’Adrien vient d’envoyer, à 17H24 précisément, un SMS d’une
vacuité désespérante à Sonia, celle qui est sa compagne depuis un an mais qui,
depuis trente-huit jours désormais, a décrété avoir besoin d’une pause et a
cessé de donner le moindre signe de vie.
Entre l’angoisse de
rédiger un discours sur des personnes qu’au fond il ne connaît pas vraiment et
dont il se soucie médiocrement, sa sœur n’ayant pour sa part jamais cherché à
savoir qui était vraiment son frère au point de lui offrir année après année
pour son anniversaire des encyclopédies sur les thèmes les plus farfelus au
simple motif qu’il aime lire, et l’angoisse d’une réponse de sa belle qui ne
vient pas, Adrien a toutes les raisons de nourrir avec force son manque total
de confiance en soi.
Plus le repas avance,
plus chacun des convives semble s’enfoncer dans une sorte de soliloque où les
autres écoutent aussi vaguement que poliment. Les thèmes s’enchaînent sans
autre logique que de ne jamais laisser place au vide et au silence qui révèleraient
alors la profonde incommunicabilité d’une famille où personne ne sait vraiment
grand-chose sur les autres et où chacun se contente de réponses toutes faites
évitant d’avoir ainsi à se confronter à une réalité autrement douloureuse.
Plus le temps passe, plus
Adrien alimente sa propension à imaginer le pire, plus ses stratégies pour
tenter d’arracher une réponse à Sonia se révèlent piteuses. A chaque nouvelle
tentative, le discours attendu et demandé par Ludo auquel ne cesse de réfléchir
avec angoisse Adrien se transforme en une sorte de confession de la totale
absence d’estime de soi de son auteur. Autant de scène propre à transformer une
cérémonie festive en un désastre avéré, à l’image de la vie d’Adrien, l’éternel
célibataire auquel on prête d’innombrables conquêtes à tort.
Fabrice Caro excelle à
nous glisser au plus profond de l’esprit torturé de son personnage, à nous
faire partager les angoisses pour lesquelles il dispose d’un talent infini afin
de les alimenter tandis que chaque convive d’un repas sans relief tente de
sauver les apparences d’un souci de l’autre qui n’est que façade et vacuité.
Publié aux Editions
Gallimard – 2018 – 199 pages