La couverture
d’un livre, surtout s’il s’agit du premier d’un auteur, doit faire mouche. Pari
gagné avec l’ouvrage d’Abnousse Shalmani dont le titre, énigmatique et
provocateur, interpelle et dont la photographie laisse voir une jeune femme au
grand regard franc, direct invitant à dialoguer directement avec elle.
De dialogues il
sera d’une certaine façon question tout au long d’un récit qui tient à la fois
de l’auto-biographie, des réflexions philosophiques, sociales et politiques et
de cris de révolte contre tout ce qui entrave la liberté de penser ou oblitère
l’avenir de notre planète. Vaste programme qui pourrait tourner en vaste foutoir
si ce n’est que l’auteur fait preuve d’une rare et vive intelligence, d’un sens
critique aigu et d’une personnalité particulièrement rebelle.
Jusqu’à l’âge de
huit ans, Abnousse Shalmani menait une vie dans l’aisance bourgeoise d’une
famille iranienne respectée et bien installée dans la société. Un paradis qui
prit brutalement fin avec la révolution iranienne et l’arrivée de celui que
l’on surnomma « le vieux en noir et blanc », le brutal, sanguinaire
Khomeiny. Soudain, plus d’aisance, plus de livres à la maison et surtout,
toutes les femmes voilées et cachées sous un uniforme destiné à les
dépersonnaliser, les formater et en faire les objets dociles des hommes, maris,
frères, chargés de les confiner à la maison.
Comme beaucoup
d’autres, la famille finira par fuir un pays où la folie des barbus faisait
rage pour venir s’installer chichement à Paris. Devenus pauvres en France, ils
n’eurent de cesse de s’intégrer. Pour Abnousse, cela passa par l’apprentissage
du français qu’elle maîtrise à la perfection. Un apprentissage qui se fit par
la lecture des grands auteurs du XIXème siècle puis par la découverte fortuite
de la littérature libertine. D’où la référence à Sade qu’elle se força à
dévorer, malgré les insoutenables passages de torture, et de tout ce que le
genre compte d’auteurs majeurs dont elle s’est fait une spécialité. Une façon
comme une autre d’apprendre une langue dans ce qu’elle a de plus fleuri et de
mieux écrit aussi. Une façon aussi de réfléchir à ce que signifie l’exercice de
la liberté, le rôle de la censure, la place des femmes dans les diverses
sociétés. De fil en aiguille, cela conduira Abnousse à passer une maîtrise
d’Histoire sur la représentation des femmes dans le cinéma français et italien
des années 50 et 60.
Au-delà des
horreurs inhérentes à toute révolution, surtout quand elle est menée par des
fous au nom d’une religion dévoyée de ses objectifs, le livre vaut surtout pour
la découverte d’une personnalité hors-normes. C’est une jeune fille, jeune
femme et femme sans cesse révoltée, refusant de se plier aux dogmes débiles,
décidée à exercer tous ses droits, avançant dans le monde hostile avec une intelligence
acérée que nous découvrons page après page. Quitte à choquer sans cesse pour
faire réagir et agir. Une femme voulant conserver la belle part iranienne de
ses origines mais pour devenir, être et agir en tant que citoyenne française. A
ce titre, les chapitres consacrées à l’étude de notre société, ses fractures,
ses traumatismes ou à la façon dont certains d’entre nous finissent par oublier
la beauté et la générosité des droits
dont nous bénéficions et que le monde entier nous envie devraient devenir des
pages à lire et étudier dès le plus jeune âge à l’école.
Oublions les
quelques maladresses d’un récit un peu décousu parfois et regardons-le comme un
cri d’amour pour ce pays, la France, qui l’a accueillie elle et les siens et un
cri d’alarme pour ce qu’il pourrait devenir si, à force de ne pas voter, nous
laissions « nos » barbus s’emparer du pouvoir.
Publié aux
Editions Grasset – 2014 – 331 pages