Kevin O’Rourke présente
toutes les qualités pour être l’auteur d’un ouvrage de référence sur la
question épineuse du Brexit. Né d’un père irlandais et d’une mère danoise, il
travaille à Londres et est conseiller municipal dans une petite ville
française. En tant qu’universitaire enseignant à Oxford, il s’est spécialisé
dans l’histoire économique et a publié de nombreux ouvrages de référence.
L’intérêt du présent
ouvrage est de replacer la décision qui a amené le Royaume-Uni à voter en
faveur du Brexit dans son contexte historique sur une longue période. On
comprendra alors mieux en quoi l’adhésion et la participation du Royaume au
Marché Commun ne se fit pas sans garder en tête côté britannique la volonté
certaine de reproduire en Europe ce que fut le Commonwealth et avec lui la
position dominante du Royaume-Uni. Un projet d’avance incompatible avec les
traités et les fondamentaux européens.
Dans l’imbroglio actuel
et ses divers rebondissements, on peine souvent à comprendre ce qui rend la
possibilité d’un accord si complexe. Toute la difficulté provient d’un côté de
ce que le Royaume-Uni, ayant décidé de quitter la table, n’a pas caché vouloir
trouver un accord lui permettant d’avoir le beurre et l’argent du beurre. A
savoir, un accord validant leur position d’un marché libre mais pas d’une union
douanière tout en étant affranchi de tous les mécanismes et règlements propres
aux membres de la CEE et eux-mêmes alignés avec les mécanismes internationaux.
Une position inacceptable pour la CEE qui mettrait, ce faisant, à mal l’égalité
de traitement de ses membres et exposerait l’Union à l’importation de produits
interdits ou risqués via le Royaume-Uni sans possibilité de contrainte. Sans
parler de l’épineuse question de la TVA intra-communautaire dont toute la
logique et l’automatisation seraient profondément mises à mal avec l’obligation
d’une course cauchemardesque à plus de contrôles douaniers et administratifs.
Or, sans un accord dont
on ne voit pas ce qu’il pourrait être si ce n’est pour le RU de rester dans
l’union douanière européenne avec tout ce qu’elle comporte d’encadrement et de
réglementation (ce que ne veulent pas les Brexiteurs durs), il n’y aura pas d’autre issue que de remettre
en place une frontière physique entre la République d’Irlande, membre de la
CEE, et le RU non membre afin de garantir le respect des règles commerciales
internationales. Une position politiquement difficilement acceptable,
humainement insupportable et susceptible de mettre à mal tout le long et
difficile processus de paix qui a conduit à la normalisation des relations
entre l’Eire, l’Irlande du Nord et le reste du Royaume et dont la CEE a été
l’artisan principal.
La difficulté essentielle
tient pour le moment à la position du RU qui comporte de nombreux points
illogiques et incompatibles avec les règles internationales sans pour autant qu’un
projet général n’ait été clairement défini. Et comme la question du Brexit est
devenue, comme l’a révélé toute la campagne et ses scandaleuses manipulations
démagogiques, une question de politique interne en Angleterre, de lutte
d’influence entre factions du Parti Conservateur et de conquête personnelle du
pouvoir, la probabilité d’une sortie brutale dont tout le monde sortira
perdant, les Britanniques encore plus que tous les autres, ne cesse
d’augmenter. A moins que l’Histoire ne nous réserve une de ses surprises dont
elle a le secret.
Voici un ouvrage très
documenté, captivant et éclairant pour comprendre en détails les tenants et
aboutissants de ce qui se discute et de leurs conséquences.
Publié aux Editions Odile
Jacob – 2018 – 301 pages