« Ordinary people » est à la fois le titre d’une
chanson du premier album de John Legend (Get Lifted) et celui du troisième
roman de Diana Evans, une des nouvelles figures majeures des Lettres
contemporaines britanniques. Un titre pour nous plonger au cœur de la vie
quotidienne de deux couples afro-britanniques. De jeunes adultes
afro-britanniques, pas encore arrivés à la quarantaine mais s’y dirigeant à
grands pas, en couples avec de jeunes enfants.
Comme bien des Londoniens, ils doivent affronter la crise
qui sévit au début des années 2000, à la cherté de l’immobilier de la capitale
qui les contraint à venir habiter les lointaines banlieues mal desservies par
les transports publics. Des conditions qui rendent encore plus difficiles la
vie au quotidien alors qu’il faut déjà, surtout, faire face à son statut de
Noir que l’on soit à peine foncé comme Melissa, celle dont tomba follement
amoureux Michael d’origine jamaïcaine et lui beaucoup plus brun de peau, le couple
central de ce roman.
En adoptant le point de vue d’un narrateur externe au récit,
omniscient à la manière d’un Dickens, Diana Evans observe à la loupe la vie,
les sentiments, les angoisses, les doutes, les émotions de ses personnages.
Tous se débattent entre d’insolubles contradictions. Aimer son ou sa partenaire
quand l’autre semble, pour des raisons inconnues, s’éloigner sans qu’on n’y
puisse grand-chose. Travailler en y trouvant un sens quand sa
« négritude » vous cantonne dans des postes subalternes ne
correspondant ni à vos aptitudes ni à vos capacités. Survivre aux trajets
quotidiens éreintants allongeant les temps indisponibles et rognant d’autant
plus sur ceux à consacrer à sa famille. Trouver un sens à une vie qui a pris
une direction totalement contraire à tout ce que l’on a pu espérer et chérir.
Alors, à l’image de ce Crystal Palace, gloire de
l’Exposition Universelle que l’on croyait éternelle et qui finit par s’écrouler
sur elle-même comme à l’image de cette vieille bicoque victorienne, proche du
palais de verre devenu ruine, habitée par Melissa et Michael et qui semble elle
aussi partir peu à peu en poussières, l’amour que l’on croyait indestructible
finit à son tour par se fissurer quand il n’explose pas tout simplement. Parce
que les attentes respectives, les conceptions de vie combinées aux reproches
plus ou moins fondés réalisent un formidable et invisible travail de sape
auquel rien ni personne ne pourra résister.
Ce sont là les vies houleuses, chaotiques, pleines d’espoir
et de déceptions que nous donne à voir Diana Evans dans un roman magistral qui
ne fait que confirmer un talent dont le premier roman 26a fut récompensé par le
prestigieux prix Orange.
Publié aux Éditions Globe – 2019 – 381 pages