C’est l’émoi dans la petite ville d’Amgash au fin fond de
l’Illinois depuis la publication d’un nouveau livre par Lucy Barton, une fille
du patelin devenue écrivain célèbre installée à New-York. Un émoi d’autant plus
justifié que le livre, dont nous ne saurons pas grand-chose, traite de la vie et
des gens d’Amgash. Or, il n’y a rien de moins apprécié dans le Middle-West que
d’être pointé du doigt ou de trop parler de soi…
Pourtant, le propos du roman d’Elizabeth Strout est
précisément de parler de ce que l’on tait, de révéler que tout est possible
même l’improbable, même le laid, même la réussite qu’on n’aurait jamais
prédite. Empruntant le corps et les pensées de nombreux personnages
principalement centrés autour de Lucy Barton qui sert ici simplement de
prétexte, Elizabeth Strout nous fait entrer dans l’intimité de chacun et des
familles. Une intimité où les blessures narcissiques sont nombreuses pour la
plupart du temps issues d’une enfance traumatisée par les violences physiques
ou sexuelles subies.
De sexe il est d’ailleurs presque toujours question.
Rarement comme une forme d’épanouissement et de jouissance. Presque toujours au
contraire comme une épreuve imposée et subie, comme une effraction de l’autre
en soi, comme une brisure d’une enfance partie trop tôt basculant sans
transition dans ce que le monde adulte a de plus sordide. Du coup, tous ces
personnages marchent en claudiquant dans une existence sans joie, terne.
Presque tous ont fait les mauvais choix de mariage, de métier, de vie parce que
manquant de confiance en eux-mêmes, brisés par des parents malfaisants ou des
conflits armés lors desquels certains ont dû commettre et voir des atrocités
dont ils ne se sont jamais remis. Oui, tout est possible, surtout le pire
semble dire ici l’auteur dont le roman constitue une sorte de suite à « Je
m’appelle Lucy Barton ».
Pour autant et malgré le succès considérable du livre aux
États-Unis, j’avoue être resté en dehors du récit qui n’a guère réussi à me
toucher. La faute à des personnages auxquels on ne s’identifie pas tant ils
semblent se situer aux antipodes de nos propres vies. La faute aussi à une
écriture manquant de relief et dont la relative platitude n’a cessé de me
surprendre quand on sait qu’Elizabeth Strout reçut le Prix Pullitzer en 2009.
Publié aux Éditions Fayard – 2018 – 297 pages