Écrit et publié en 1928 au Japon, ce roman fait l’objet
d’une première publication en Français seulement en 2018 ! À se demander
pourquoi vu la place occupée par Tanizaki
dans le paysage littéraire nippon de la première moitié du XXème siècle
et vu la qualité intrinsèque du roman !
À l’instar de ses autres romans, Jun’ichiro Tanizaki
s’intéresse ici au plus profond de la psychologie de son personnage principal
afin de rendre compte avec finesse de ce qui fait la grandeur et la faiblesse
de l’âme humaine. Ici, c’est un écrivain qui est mis en scène. Un homme qui,
comme Tanizaki à ses débuts, publie régulièrement de petits romans pour le
compte d’une revue littéraire assez prestigieuse. Un homme paresseux, toujours
en retard pour livrer ses manuscrits. Un homme célibataire depuis que son
épouse l’a quitté parce qu’il l’avait fictivement assassinée à de multiples
reprises dans plusieurs de ses romans. Un homme qui, dès qu’il a entre les
mains quelques billets, ne peut s’empêcher de les flamber en alcool et prostituées,
accumulant des dettes qu’il ne rembourse jamais.
Pour le dernier manuscrit remis par cet homme peu
sympathique, ce dernier avait pris pour modèle un homme qu’il lui arrivait de
croiser. Un personnage un peu falot travaillant lui aussi dans le milieu
littéraire. Une fois encore, son inspiration l’avait poussé à relater et
détailler l’histoire d’un meurtre sordide. Au départ, celui du personnage
inventé avant que, par un oubli mêlé d’une certaine confusion mentale, le
véritable nom complet du modèle ne fût utilisé à de nombreuses reprises dans la
dernière partie de l’intrigue. Une situation d’autant plus embarrassante qu’il
n’est pas difficile de reconnaître à qui l’écrivain pensait vraiment, pas plus
qu’il n’est difficile de comprendre ce qu’il en pense !
Dès lors, l’homme de lettres va sombrer dans une paranoïa
galopante, se figurant que les détails du meurtre fictionnel qu’il vient de
relater vont servir à réaliser le meurtre réel de celui qu’il a pris pour
modèle. Une obsession qui va finir par devenir réalité plongeant l’écrivain à
la vie aussi dissolue que vile dans un abîme moral, psychique et policier,
révélant toute la turpitude et la noirceur qui font cependant le sel de sa
création romanesque.
Écrit après le grand tremblement de terre de 1923, le roman
porte les traces du cataclysme et rend compte d’un Japon qui bascule peu à peu
d’un monde ancré dans les traditions vers les tentations, coutumes et habitudes
nouvelles directement venues du monde occidental dont la présence ne cesse de
croître. Par son thème, il conserve sa modernité et rend compte du talent et de
la sensibilité de l’un des grands écrivains japonais du siècle précédent.
Publié aux Éditions
Philippe Picquier – 2018 – 252 pages