Liankee Yan s’est fait une spécialité d’élaborer de subtils récits situés dans la Chine rurale contemporaine pour dénoncer à mots à peine couverts les multiples travers historiques ou actuels du pays où il continue de vivre malgré les brimades qu’il y subit.
Nous voici transportés au cœur des années soixante dans un petit village rural perdu, loin de tout, au milieu des montagnes. Pendant des siècles, on y a vécu en relative tranquillité et en autarcie, la culture et l’élevage suffisant à assurer les besoins élémentaires. Mais, depuis trois générations désormais, toutes les familles du village sont frappées d’un fléau. Hommes et femmes sans distinction y meurent tous en quelques mois et avant quarante ans du mal de la gorge obstruée. Pour combattre cette fatalité, les chefs de village successifs s’efforcent de mettre en place des stratégies qui relèvent plus de la pensée magique que d’une approche rationnelle des choses. Certains tenteront de gigantesques travaux pour amender les sols tandis que le dernier en date s’est lancé dans un chantier titanesque qui consiste à détourner les eaux des sources lointaines censées garantir une longue vie.
Malgré des conditions de vie rudes et des existences courtes, rien n’empêche les turpitudes humaines de s’exprimer. Et tout concourt à rendre impossible l’amour survenu dès le plus jeune âge entre celui qui deviendra le futur chef de village et sa cadette, la plus belle fille y habitant.
C’est en parcourant à rebours du temps la genèse de cette histoire d’amour contrariée que nous suivrons l’évolution de la population rurale de la Chine profonde. Pour survivre, tous les hommes doivent régulièrement vendre des morceaux de leur propre peau à l’hôpital de la ville distante spécialisé pour traiter les grands brûlés. Les femmes quant à elles sont envoyées en ville afin de se prostituer, le temps d’amasser de quoi faire vivre le village à leur retour. Quand les villageois ne sont pas exténués par les travaux forcés imposés par leur chef dans l’espoir de vaincre la fatalité du mal qui les touchent, ils doivent composer avec puis subir les conséquences des décisions imposées par un Parti Communiste qui navigue à vue et qui est sapé par la corruption.
Mais, toujours, quelle que soit la pauvreté, quels que soient les fléaux innombrables, les petites ambitions et les grandes jalousies personnelles trouveront toujours à s’exprimer que ce soit pour convoiter la place où enterrer ses morts, pour s’arroger les biens ou les femmes du village ou comploter pour accaparer la position de chef du village à la tête de paysans incultes et superstitieux.
C’est un tableau sombre de la Chine d’il y a plus d’un demi-siècle que nous livre l’auteur. Une Chine frappée par la pollution, une Chine dissimulant sciemment les causes des fléaux s’abattant sur une partie de la population que le pouvoir n’hésite pas à sacrifier.
Publié aux Éditions Philippe Picquier – 2014 – 606 pages