16.9.06

Morituri - Yasmina Khadra

Morituri – Yasmina Khadra

« Saigné aux quatre veines, l’horizon accouche à la césarienne d’un jour qui, finalement, n’aura pas mérité sa peine. Je m’extirpe de mon plumard, complètement dévitalisé par un sommeil à l’affût du moindre friselis. Les temps sont durs : un malheur est si vite arrivé.»

C’est par une phrase d’une construction et d’une sophistication rares, immédiatement suivie de deux autres mêlant argot et mots du quotidien, dans un decrescendo littéraire pleinement conscient, que commence « Morituri ». On est tout de suite pris dans l’ambiance, happé par un style original qui appelle sans regret possible à en savoir plus.

« Morituri » est un amalgame brillant de lignes fulgurantes par la beauté de leur construction, toute faite de l’étrangeté des associations de mots, non de leur rareté, combinées à des passages orduriers afin de mieux vous clouer sur place. Un va et vient permanent entre le beau et le laid, l’intelligent et le bas, l’élévation de l’esprit et la turpitude terroriste, l’élégance d’un engagement honnête et désintéressé face à l’horreur des tueries aveugles. Un style houleux pour montrer une société qui bascule, qui ne sait plus à quoi se raccrocher, en perte de tout repère.

Un livre, sur fond de roman policier pour excuse, pour dire le mal profond qui mit l’Algérie à feu et à sang pendant les dix années les plus noires de son existence. On y traverse les ghettos où l’on se fait la guerre, par marionnettes interposées, les riches manipulant les pauvres, les pauvres tuant les encore plus pauvres pour rendre les riches encore plus riches, ne comprenant rien à ce scénario qui les dépasse.

Des mots crûs qui dévoilent les dessous du terrorisme et de la guerre civile, montrent sans concession la totale collusion entre le pouvoir civil, politique, économique et les leaders du terrorisme algérien. Une façon comme une autre de créer les conditions pour accaparer l’attention afin de mieux mener, en toute tranquillité et impunité, ses petites affaires et se bâtir, au frais de l’Etat et de la communauté internationale, des empires personnels inexpugnables. Rarement les coupables payent grâce à la corruption généralisée, tout le monde tenant tout le monde, souvent de façon sordide.

Il faut le courage, la foi, la loyauté désintéressée du commissaire Llob, double littéraire de Mohammed Moulessehoul, lui-même double, réel, de Yasmina Khadra, pour faire tomber quelques gros bonnets qui tirent les ficelles terroristes.

Des répliques aussi cyniques que l’attitude qu’elles condamnent, une descente aux enfers, au prix de vies amies, pour tenter de contenir l’horreur, de faire cesser les assassinats gratuits, ceux des gamins parce qu’ils vont à l’école, « et des filles que l’on décapite parce qu’il faut bien faire peur aux autres. »

Un livre à vif où un humour noir vous percute de façon récurrente pour vous propulser jusqu’à la prochaine station de l’horreur, histoire de savoir qu’on y a survécu, par dérision.

Pour comprendre pourquoi ces dix années de tuerie aveugle en Algérie, les mécanismes et les enjeux occultes. Un peu superficiel peut-être mais terrifiant, dévoilant juste ce qu’il faut d’ombre pour en frissonner d’horreur.

183 pages – Publié par Folio Policier

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