Truculent, cynique, décalé, drôle… Une pluie d’adjectifs me vient à l’esprit au moment de vous faire part de mon humeur sur ce roman déjanté.
Sportès nous emmène malgré nous dans l’univers des ex gauchos maoïstes qui, après quelques frasques sans trop de conséquences, se sont rangés et casés dans la société (et la bonne de préférence). Alors que la réinsertion est en très bonne voir pour notre (anti)héros, Jérôme, éditeur en vue, fiancé à une superbe femme, journaliste et fille du porte parole de l’Elysée, voilà que son passé resurgit. Un ex camarade lui remet un revolver et son univers risque de basculer. Voici pour l’intrigue de base…
L’une des forces de ce roman est d’entremêler avec une habilité diabolique, et quasiment sans que le souffle ne retombe, ce qui constitue un véritable exploit vu le défit de construction, divers fils. Puis de nous serrer bien fort.
Celui, linéaire et classique, de l’intrigue qui se déroule sous nos yeux. Nous allons assister à une lente déchéance de Jérôme, alcoolotabagique, et qui soigne son angoisse de vivre à coups de tranxène/whisky. Plus on avance, plus on se prend à détester ce sinistre individu, incapable de s’assumer, de s’aimer et d’aimer.
Jusque là, rien que du classique.
Voilà qu’un deuxième fil surgit, presque sans qu’on le remarque. A chaque moment clé de l’intrigue, une des responsables de la maison d’édition appelle Jérôme pour lui demander de faire réécrire par un romancier qu’il a imposé au comité de lecture, une scène d’un livre que nous ne connaissons pas. Or ce livre ressemble très étrangement aux scènes qui viennent de se dérouler sous nos yeux. Un trouble léger nous gagne. Ce trouble deviendra presque angoissant à la fin, mais chut, je ne vous en dirai pas plus. Y aurait-il un doute entre le réel, le perçu et le souhaitable ? Qui se sert de qui pour défendre quels intérêts ?
Un troisième fil, celui de la manipulation par la communication, sous-tend l’ouvrage. Il est même posé en postulat en avant-propos, par citation d’une enquête internationale dont on ne sait si elle est bidon ou franchement réelle, ce qui fait peur. Chaque chapitre est illustré d’extraits d’ouvrages politiques, principalement de gauche, et chaque extrait fait miroir à l’action qui va se dérouler, nous plongeant de plus en plus dans l’horreur et la manipulation. Une fois de plus, qu’est-ce qui relève du conscient, du désir ou de la manipulation ? Ce sont les thèmes fondateurs de l’ouvrage.
Un quatrième fil, que j’esquisserai seulement car c’est la trame fondatrice, nous emmène dans un monde parallèle dont on ne sait s’il est onirique ou réel et où certaines des scènes passées ou envisagées, se re-déroulent mais en inversion, de façon à politiser le propos, à déclencher une manipulation sur la manipulation, vous me suivez ? Le propos procède de bascules incessantes, pour mieux nous semer, nous troubler.
Enfin, du fait des ravages de l’alcool et des drogues, nous naviguons sans cesse entre le réel, les hallucinations, les rêves sans que la frontière entre tous soit bien claire ce qui jette encore plus le trouble.
Le génie de Sportès est de nous prendre dans ses filets, en nous enserrant de plus en plus fort, si bien que nous ne savons plus qui est qui, qui manipule qui et jusqu’où l’auteur prend un malin plaisir à nous manipuler. Le tout sur fond extrêmement documenté quant aux milieux révolutionnaires et à la gauche bien-pensante. Tout le monde, droite comprise, en prend pour son garde d’ailleurs, mais de façon subtile, non frontale.
Par ailleurs, l’intrigue est solide et l’étonnement constant. Bref, que du sérieux.
Un délicieux roman que j’ai adoré. Vous aurez du mal à le quitter avant que de le finir. Quel meilleur éloge ?
Publié aux Editions Grasset – 407 pages