6.4.07

Les bouffons du roi – Avigdor DAGAN

Encore un livre majestueux dans la grande tradition de l’écriture slave et juive. Victor Fischl, alias Avigdor Dagan, est tchèque d’origine. Après avoir été membre du gouvernement tchèque en exil de 1939 à 1947, il prend la nationalité israélienne et devient ambassadeur.

« Les bouffons du roi » traite de sujets complexes et pour lesquels il ne peut exister de bonnes ou de mauvaises réponses. Il y a seulement celles que nous sommes chacun de nous capables d’apporter selon les temps et les circonstances.

Quatre juifs se trouvent, comme des millions d’autres, déportés. A la différence des autres, ils ont une caractéristique physique ou mentale qui saura séduire le chef du camp de concentration, pour son bon plaisir et surtout celui de ses hôtes officiers. L’un est nain, l’autre jongleur et magicien, un autre astrologue et le narrateur, enfin, sait lire l’avenir.

La première grande question que nous pose l’auteur, à travers ces quatre bouffons obligés à des pitreries sans cesse renouvelées pour survivre, en faisant rire dans un océan de mort, en frôlant sans cesse la ligne continue de la tolérance d’officiers saisis d’une permanente folie impunie est de savoir s’il est acceptable de développer une telle stratégie de survie. Jusqu’où aller quand la vie même d’êtres chers est en jeu ? Comment s’aimer encore quand on a su s’en sortir au prix fort ?

Certaines scènes poignantes ne sont pas sans rappeler la magnifique trilogie « L’échiquier du mal » de Dan Simmons. On y retrouve le même droit de vie et de mort sur des sujets manipulés mais qui peuvent, parfois, manipuler leurs tortionnaires. Une fable horrible sur le maître et l’esclave aussi.

La deuxième grande question qui nous est posée est celle de la place de dieu dans un monde voué à l’extermination puis à la vengeance, une fois qu’on s’en est sorti. Comment croire encore, qui croire d’ailleurs. Comment prier, comment agir ? La prière est-elle source de réconfort ou un refuge pour oublier ?

La troisième et dernière question est celle qui consiste à décider quoi faire de sa vie quand on s’est sorti des camps de la mort. Trois illustrations nous en seront brillamment données à travers trois des quatre bouffons, l’un des quatre connaissant un tragique destin à sa libération. Le jeu des bouffons était-il celui qui valait la peine d’être joué ?

Avigdor DAGAN aborde tous ces thèmes avec une tempérance majestueuse. Aucun parti pris, aucune position de principe. Des interrogations posées avec clarté, des réponses possibles qu’il nous appartient de juger. L’écriture est limpide, sans ambages pour mettre à nu l’essentiel. Comme souvent avec les écrivains d’Europe de l’Est, il y a ce brin de désinvolture, de léger décalage, d’ironie pour mieux faire passer ce que la vie peut réserver de plus horrible.

Un livre majeur.

Publié aux Editions Folies d’encre – 222 pages

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